LES CHASSEURS DE LUMIERE
Ou comment les anciens Kabyles voyaient la dictature et l’oppression à travers leur littérature orale.
ISEGGADEN N TAFAT
CONTES ET MYTHES KABYLES
TIMUCUHA D-IZRAN
Bilingue berbère-français paru aux Editions L’Harmattan)
En signe d’hommage et de gratitude, je dédie ce livre à la mémoire de trois chasseurs de lumière, défenseurs éclairés de la liberté et de la langue berbère amazighe. Ils avaient consacré sans partage leur vie durant à la lutte contre toutes les aliénations. A eux trois, ils symbolisent cette Algérie de la sagesse et des lumières, chère aux Anciens kabyles.
Mouloud MAMMERI (19717-1989), mort dans un accident de voiture (un arbre au travers de la route !) à son retour du Maroc où il avait participé à un colloque sur la langue amazighe. Homme de science, écrivain, grammairien et poète, il fut le chantre de la culture berbère. Ce sage des lumières s’était battu contre tous les vents et les marées de l’ignorance pour sortir notre langue des griffes de l’obscurantisme dans lesquelles elle était maintenue en Algérie et en Afrique du Nord.
Tahar DJAOUT (1954-1993), journaliste et poète kabyle, il était sans doute le plus grand écrivain algérien d’expression française. Il fut assassiné à Alger en juin 1993. Il était devenu par son intégrité intellectuelle, sa modestie, son courage inébranlable et son immense talent d’écrivain le symbole de la résistance au fanatisme. C’était lui qui disait : « Si tu dis, tu meurs ; si tu ne dis pas, tu meurs. Alors, dis et meurs ! »
Lounès MATOUB (1956-1998), chanteur kabyle engagé à la figure charismatique et aux vers incisifs, il clamait et chantait haut et fort la reconnaissance officielle de la langue amazighe en Algérie. Il fut assassiné en Kabylie le 25 juin 1998. Sa voix trace encore et à jamais des myriades d’étoiles dans la nuit noire qui l’avait emporté. Défenseur acharné de la démocratie et de l’identité berbère, sa poésie et ses chants portaient un message universel empreint de liberté et de lumière.
Introduction
« Qu’est ce qui sépare le mythe du conte ? C’est un mince fil caché dans une énigme. » (Ma mère, Tawes Ouchivane Allioui).
L’idée d’une montagne ou d’un arbre qui se déplace, d’un courant d’eau, du vent ou du nuage qui parle, apparaît fréquemment dans les récits mythologiques kabyles. Cependant, et c’est là que je veux en venir, il est sous-entendu que toutes ces choses ne sont que les supports de telle ou telle force immatérielle – parfois (mais pas toujours) celle du Souverain Suprême – faisant partie de ce qui a été appelé par les spécialistes « une image conventionnelle du monde ».
En revanche, la perception immédiate des réalités ambiantes, à l’aide d’artifices et d’images allégoriques, n’écarte en aucun cas une analyse qualitative. Elle permet aux anciens Kabyles de parachever à leur manière leur apprentissage de l’existence et d’aiguiser ainsi adéquatement leur outillage intellectuel.
Produit simultané de la croyance ancienne, de l’expérience quotidienne et de l’imagination créatrice, le mythe et le conte apparaissent comme de véritables jardins de symboles. Ils sont souvent constitués avec des moyens verbaux extrêmement simples. C’est cette simplicité qui fait aussi leur profondeur. Il faut donc savoir non seulement les repérer, mais aussi et surtout savoir les lire et en interpréter le sens caché. Le symbole chez les Kabyles – comme l’a si bien montré Jean Servier[1] – n’est en fait qu’une figure de la réalité quotidienne, un reflet ou, plus encore, une image de l’environnement naturel.
Comme le lecteur averti s’en rendra aisément compte en parcourant les récits, cet environnement n’est pas dépourvu de tout caractère abstrait. Même si l’action des récits ne peut éviter les sentiers de la fiction, elle ne quitte pas pour autant la terre ferme, sûre et rassurante du concret : les personnages de l’univers supra naturel à commencer par le plus important d’entre eux – le Souverain Suprême (Agellid Ameqqwran) – descendent et se mettent bien volontiers au niveau des Hommes. Le Maître des Cieux se comporte en simple « mortel » – du moins depuis que la mort existe[2] – pour que ses messages soient bien compris de tous.
C’est pour cela qu’il faut éviter de classer rapidement les séquences des récits et les scènes – qui apparaîtront à un moment ou un autre comme des suites d’un raisonnement hautement spirituel et relevant de la mystique à l’état pur –, parmi les phénomènes culturels anachroniques. C’est à cause de leur origine très lointaine – selon l’expression consacrée « depuis que le monde est monde » (g-gwasmi i d-tejna ddunnit) –, que le besoin de survivre a exigé de ces récits, et des croyances qu’ils transportent avec eux, des capacités d’adaptation extraordinaires.
La portée matérielle des modifications – « les morsures du temps » ou « la rigole des jours » (targa g-ussan), comme disait mon père -, et l’érosion qui se sont opérées à travers de nombreuses générations nous échappent, de même que toute estimation d’ordre chronologique. Quand j’ai questionné quelques Anciens sur les aspects amphigouriques et « embrouillés » de ces récits, j’ai souvent entendu la même réponse : « C’est comme ça que nous l’avons trouvée depuis la mère du monde : depuis toujours » (Akka i-t i d-nufa si yemma-s n ddunnit). Je rends grâce à mes parents qui avaient cette faculté d’aller jusqu’au fond des choses en faisant apparaître la lumière qui me manquait pour mieux voir dans « les coins obscures » de ces récits allégoriques.
Il arrive ainsi que tel ou tel récit, apparemment ancestral, soit pénétré d’indicateurs indubitablement plus récents, voire même contemporains de nos pères et de nos mères. Ils s’infiltrent ingénieusement – d’autres diront peut-être « insidieusement » – dans la trame ou le tissage épique. Cette infiltration a sans doute une mission ou un objectif : celui de renouveler, grâce à leur pouvoir « sécularisateur », les croyances, les personnages et le milieu scénique de notre mythologie qui, sans cela, auraient depuis longtemps disparu.
Le mythe est donc souvent lié à la foi, aux croyances. Et si les Kabyles croient bien volontiers que les faits relatés dans les contes sont imaginaires, il en est tout autrement de ceux qui ont tissé les mythes. Mon grand-père et mon père ainsi que les Anciens de leur génération y croyaient tellement qu’ils me mettaient en garde de ne pas les raconter aux étrangers prompts, d’après eux, à prendre les Kabyles pour des païens et des sauvages ! Mon père disait : « Nous sommes des musulmans même si nous sommes attachés aux croyances de nos ancêtres. Nous ne sommes ni des païens ni des sauvages : nos croyances sont attachées à l’existence du Souverain Suprême, c’est-à-dire notre Seigneur Dieu et à tous les êtres vivants sur terre du plus petit insecte jusqu’à l’homme. Pour nous, il n’y a pas d’opposition entre l’homme et la nature ; ils sont complémentaires. Sur bien des points, nous sommes en avance sur les Arabes et les chrétiens. Ils nous manquent juste un pouvoir politique pour défendre nos idées et enseigner notre langue et notre civilisation. C’est pour cela que les Anciens disaient : « Tous les peuples ont un pays ; nous, nous cherchons en vain le nôtre ! » (Medden yakw sâan tamurt, nekwni anti d-ayla-nneγ !)
Au cours de l’un de nos nombreux entretiens, le grand sociologue de l’aliénation, Joseph Gabel[3], me disait : « Les contes et les mythes kabyles sont chargés de la grande histoire des Berbères et de la pensée profonde de votre peuple. Ils offrent aux chercheurs en sciences sociales une autre façon d’appréhender et de comprendre la résilience due aux dangers que votre père ressentait déjà face à un certain fascisme culturel réifiant, encouragé par la mondialisation, où la différence est perçue comme un empêchement d’arriver le plus rapidement possible au profit. La présence de la différence culturelle et linguistique tempère la supériorité des uns et les privilèges des autres. C’est une façon comme une autre d’aspirer à un monde plus juste où les peuples « minorisés » doivent avoir aussi droit de cité : c’est d’abord grâce à leur langue et à leur culture qu’ils peuvent recouvrer ce droit. A travers le conte et la mythologie kabyles, on sent une certaine aptitude à la résistance sans laquelle la vie peut perdre toute idée d’harmonie et de sens… Je veux dire par-là qu’ils peuvent empêcher une certaine idée de suicide collectif fomenté par un modèle culturel dominant… »
Joseph Gabel avait bien compris que les anciens Kabyles n’entendaient pas les contes et les mythes comme de « simples légendes ». Ce ne sont pas « des histoires de vieilles grands-mères qui se terminent toujours bien », comme d’aucuns l’ont écrit avec un brin d’ironie doublée de mépris. Aux yeux de nos sages, ce sont des récits qui cachent les mystères dont un peuple s’entoure pour sauver ses richesses, sa langue et son âme (iles-is d yiman-is), c’est-à-dire son identité et sa terre.
Joseph Gabel m’a également permis de mieux comprendre une autre vision de la chose : une vision marxiste qui pose le postulat économique comme la première considération de toutes les choses et de tous les comportements. Car selon une pensée ancienne kabyle : « Même le serpent marche aussi sur et pour son ventre ! » (Ula d-azrem iteddu f-uεebbud-is !) Dans la mythologie kabyle, l’ogresse fut à l’origine de la guerre[4]. Elle se faisait passer pour « La mère du monde » et sema la zizanie entre les différents peuples de la terre. Et pendant que ces derniers guerroyaient entre eux, elle profitait pour accaparer tous leurs biens.
Il n’est donc pas difficile d’arriver à la conclusion marxiste « économique et de partage des richesses » de Joseph Gabel, et de comprendre pourquoi ceux qui gouvernent par la force sèment la zizanie entre ceux qu’ils oppressent. Qui ne connaît pas cette vieille formule : « Diviser pour mieux régner ! » Joseph Gabel me disait : « Semer le mensonge pour mieux étendre la manipulation et la division. Le rôle que joue le dictateur est identique à celui du menteur ; c’est un rôle extérieur à son personnage, un rôle aliénant comme celui du fou dont il est question dans le mythe que vous appelez « mythe de la langue ». »
Selon lui, ceux que les anciens Kabyles ont appelés « Les sages qui savent lire avec le cœur », « Les guetteurs de vent » et « Les chasseurs de lumière » doivent lutter contre le mensonge et faire en sorte que la vérité s’impose. Ils doivent être capables de dire : « La langue et la culture berbères sont de grandes richesses qu’il faut sauvegarder et transmettre. La langue amazighe est l’héritage millénaire – qui vient de la nuit des temps – qui doit revenir à chaque enfant algérien bien avant toute autre langue. Qu’il s’agisse de poésie, de contes ou de fictions, les écrits d’auteurs kabyles sont toujours interdits à l’école. Quand des élèves y ont accès, c’est du propre chef de l’enseignant et souvent à l’insu de sa hiérarchie ! Toutes les variantes de la littérature orale kabyle sont jugées « subversives » ! Un dicton ancien dit : « Toutes les choses ont des limites, sauf l’ignorance ! » (Sked tasegla, yal taγawsa s tilisa !)
Dans chaque récit légué par les anciens Kabyles, nous retrouvons le souci de vivre dans l’amour, la connaissance et la sagesse. Il est question de partage et de respect ; du bonheur de la femme et de l’enfant sans lesquels toute recherche d’une vie décente serait vaine. Mon arrière grand-mère Awicha disait : « Donnez du bonheur à la fille et à la femme et vous verrez le pays fleurir comme un arbre au printemps ! » (Fket ccihwa i teqcict t-tmettut, a-twalim tamurt tejjujjug am tejra di tefsut !)
Contrairement à ce que d’aucuns écrivent ici et là, la pensée de nos Anciens n’est pas une pensée passéiste ; bien au contraire ! Il suffit de bien lire (et de comprendre) les récits qu’ils nous ont transmis pour comprendre qu’ils charrient une intemporalité empreinte d’une modernité surprenante. Il suffit de se pencher notamment sur les mythes qui traitent de l’écologie pour comprendre qu’ils sont sur bien des points en avance sur beaucoup d’autres peuples. Mon père n’avait cesse de me répéter que seuls le peuple berbère vénérait les abeilles et avait une fête des insectes[5]. C’est par cette « globalité plénière », au sens Gabélien du terme, que les anciens Kabyles entendaient essaimer à travers leurs récits une vue universelle de leur langue et de leur culture. Le peuple berbère ne revendique rien de subversif ; il veut simplement éviter sa disparition et continuer de vivre comme tous les peuples autochtones menacés de disparition. Les anciens Kabyles savaient que la disparition de leur langue signifie la mort du peuple berbère. Un dicton kabyle nous le rappelle : « Dis, et Dieu t’entendra ! » (Siwel, Rebbi ak d-isel !)
Enfants, ma mère nous racontait l’histoire de cette petite fille qui se laissait mourir car sa belle-mère refusait de lui raconter des histoires. Elle s’asseyait au pied du chêne où était enterrée sa mère et racontait à voix haute que sa marâtre la privait des légendes qui faisaient grandir les enfants. Alors une voix – celle de sa mère – sortit de la souche de l’arbre pour lui raconter les contes merveilleux qui faisaient grandir les enfants… Comme dans beaucoup de légendes et de mythes – tels que ceux que je rapporte ici – les Anciens avaient su savamment réunir prose et poésie. Dans ce conte pour enfant – même si mon père disait que les contes n’ont pas d’âge – à travers l’arbre, ma mère contait et chantait en pleurant à chaudes larmes :
Il était une fois, ô ma fille chérie !
Un pays où la nuit veille sur les enfants
Une étoile dans le ciel qui ne faiblit jamais
Qui dit des légendes où tous les enfants jouent
Autour de la lune, ils font de belles rondes.
Il était une fois, ô ma fille chérie !
Un pays où le jour a le goût du printemps
Où les enfants se cherchent dans les champs de blé
Quand les coquelicots rougeoient sous les rayons
Quand l’oiseau chante et que l’abeille butine.
Il était une fois, ô ma fille chérie !
Un nuage dans le ciel caressé par le vent
Pour qu’il lâche la pluie qui fait rire les enfants
Il était une fois où le soleil s’amuse
A dire tous ces mots qui font vivre le temps.
Quand je discutais avec ma mère à propos de cet interdit qui entourait et qui entoure toujours la transmission de notre littérature orale dans les écoles algériennes, elle donnait son sentiment en disant : « Je ne comprends pas ce qui peut les déranger dans un conte ou une poésie pour enfant ! » Après un moment de réflexion, elle s’exclama : « Que je suis innocente ! C’est évident : ils ne veulent pas de notre langue car elle est différente de l’arabe ! Et comme ils disent que nous sommes des Arabes… C’est un peu l’histoire du merle qui se moque du hibou… L’alouette a pris la défense du hibou en disant au merle : (Bien qu’il te paraisse lugubre, le chant du hibou est pareil au tien, sinon plus beau : car lui, c’est dans le noir qu’il cherche la lumière !) » Elle continua son raisonnement en disant : « Ceux qui nous gouvernent se prennent pour des merles dont le chant doit s’imposer à nous. Ils nous considèrent donc comme des hiboux qui chantent de façon lugubre… En réalité, ils n’aiment pas notre langue parce qu’elle les dérange par sa beauté et le sens qu’elle donne à notre vie. Mais elle les dérange surtout à cause de la conscience et de l’aptitude qu’elle nous donne pour comprendre le monde dans lequel nous vivons… »
C’est suite à cet échange que nous avions eu ensemble que ma mère avait souhaité apprendre à écrire en kabyle. Elle me disait en riant : « L’alouette a dit : Il n’y a pas d’âge pour apprendre à voler : il suffit de remuer les ailes ! »
Je reste encore profondément ému à chaque fois que je repense au courage qu’elle avait déployé quand elle voulait que je lui apprenne à écrire. Elle avait alors 74 ans ! Je la vois encore – inclinée sur la feuille de papier, le stylo à la main – qui appuyait de toutes ses forces physiques et mentales pour retranscrire. Après avoir appris à écrire son nom et son prénom, le premier mot qu’elle voulut apprendre à écrire fut « conte » (tamacahutt). J’aurais donné cher que mon père voie cela ! Lui qui, pour me convaincre, me répétait bien souvent cette phrase : « Ecris ce que tu peux en kabyle, tes enfants le trouveront ! Tu verras, cela t’aidera aussi à mieux comprendre les autres et les choses de la vie ! »
Présentation des récits de ce livre
1 – Les chasseurs de lumière
Ce conte m’a été raconté plusieurs fois par mon père qui le classait dans la catégorie des « contes du temps des lumières » (Timcuhal). Mon père le mettait en avant pour expliquer les fondements démocratiques de la cité kabyle. La première fois que mon père me l’avait raconté, j’en étais tout fier, car le surnom qu’il m’avait donné correspondait au prénom du héros, Vousvouss. Rien a priori ne distingue ce conte des autres en dehors de la classification savante qu’en avaient faite les Anciens : « Contes des temps des lumières » (tamcahilt). Malgré cette classification, je me demande quand même si nous ne sommes pas en présence d’un mythe désacralisé ? Il manque juste « l’indice de dénonciation du signe mythologique » (Malek Ouary). En dehors de l’absence du « Souverain Suprême » (Agellid Ameqqwran), tous les autres ingrédients qui constituent le mythe sont présents dans ce récit, même si sa « modernité » peut surprendre ou « choquer ». Je n’en ai pas retrouvé d’autres versions. Il ne figure pas non plus dans les contes et les mythes recueillis par Léo Frobenius[6] dont nous devons la traduction en français à Mokran Fetta. S’agissant des mythes kabyles proprement dits, l’africaniste allemand en avait recensé 26 sous le titre « Les mythes de la création de l’univers et la conception du monde. » Ces mythes font partie du Tome 1 qui porte le titre de Sagesse. Parmi les autres récits classifiés parmi les contes, j’en ai relevé plusieurs autres récits qui sont également à considérer comme des récits mythologiques tel celui qui porte le titre Le combat des Amazones , que j’ai recueilli auprès de mon père sous le titre kabyle : Les filles du temple (Tullas n timezgida). Signalons également un album du chanteur kabyle Idir qui porte le titre Les chasseurs de lumière.
2 – Le jardin de l’ogresse
« Le jardin de l’ogresse » est un conte dont j’ai relevé plusieurs versions. Il est classé parmi « les contes des ogres et des ogresses » (tihjjiwin). Les deux versions les plus connues portent les titres de L’histoire des deux frères et Les chevaux de vent. Taos Marguerite Amrouche nous a gratifiés d’une magnifique version (en français) dont le titre est Les chevaux d’éclair et de vent. Une autre version – que j’ai relevée dans la région du Guergour – ressemble davantage à celle que je tiens de ma mère qui classait ce conte dans « le cycle de Mdakkel », héros légendaire kabyle que nous avons déjà rencontré dans mes précédents ouvrages[7]. Ce fut donc ce héros légendaire qui tua l’hydre à 7 têtes, que nous retrouvons dans Le jardin de l’ogresse avec la particularité suivante : il n’est plus fils unique mais l’aîné d’un petit frère aventureux et imprudent répondant au prénom de « Mazagran » (Maze$ran). En volant au secours de son jeune frère, parti à la découverte du jardin de l’ogresse, Mdakkel sera en butte à beaucoup d’épreuves sur son chemin.
3 – Conte du coffre
Le deuxième titre de ce conte Un coffre au-dessus du marché (Asenduq nnig ssuq) fait allusion à une énigme kabyle dont l’énoncé complet est le suivant : « Un coffre fermé au-dessus du marché[8] » (Asenduq lmeγluq, i d-yekkan nnig ssuq). Mon père le classait dans la typologie des contes dits « contes énigmatiques » (timyifran).
Voyant son père toujours enfermé dans son palais, un jeune prince sagace veut découvrir un peu plus son peuple. Pour ce faire, il se rend au marché et dit à ses sujets présents – marchands et clients – qu’il ne leur permettra de vaquer à leurs occupations que lorsqu’ils auront trouvé la clé de trois énigmes, dont la première est : « Quel est l’être qui, le matin, marche sur quatre pattes, à midi sur deux et le soir sur trois ? » La deuxième énigme parle d’un arbre à douze branches et dont chaque branche porte trente feuilles. La troisième énigme qu’imposa le prince est celle qui rappelle le titre du conte : « Un coffre fermé au-dessus du marché. »
Une page célèbre de la mythologie grecque qui met en scène Œdipe et le Sphinx : arrivant près de la ville de Thèbes, le jeune homme se trouve face à cette créature au corps de lion et au buste de femme. Celle-ci pose cette énigme à tous les voyageurs et dévore impitoyablement ceux qui échouent… Œdipe résout l’énigme et le Sphinx, de dépit, se jette dans le précipice. En avance sur leur époque, les anciens Kabyles mettent en avant, non pas un jeune homme, Œdipe, mais une jeune fille – dont le prénom est « Benjamine » (Tamazuzt) – qui arrivera à résoudre toutes les énigmes du jeune prince jusqu’à celle du coffre[9].
Ce conte est l’un des préférés de mon père à cause de la mise en avant du jeu des énigmes qu’il considérait comme l’une des merveilles culturelles portées par la langue kabyle. C’est aussi l’un des contes les plus racontés par les jeunes filles kabyles, notamment pendant les veillées de mariage. Et l’on comprend aisément pourquoi ! L’héroïne est une jeune fille, et le conte permettait l’introduction du jeu des énigmes auquel les Kabyles aimaient s’adonner.
Ce jeu permettait aussi de varier la transmission orale et d’obéir à une règle ancestrale. Ma mère disait : « On n’a pas le droit de raconter pendant plus de quatre jours de suite des contes sans les « couper » par d’autres procédés et méthodes de transmission orale tels les mythes, la poésie, les joutes oratoires, les proverbes, les énigmes ou d’autres jeux. Les Anciens appelaient cette limitation à quatre jours : la borne des contes (tilist n tmucuha). »
4 – Vava-Ynouva et Ghrova
Je tiens ce conte de ma mère qui affirmait que notre village avait connu – « à peu d’ogres près ! » – la même chose. Il y a fort longtemps, disait-elle, le plus vieux sage de notre village qui s’appelait « Mohand Verver le noble » (Muhend Berber Aqerεi) quitta le village pour une histoire de polygamie. Soyons plus précis et écoutons ma mère : « Un homme de notre village (Ibouzidène) décida de prendre une seconde épouse au mépris du droit de la cité qui interdisait cette pratique pourtant permise par la religion musulmane. En général, le droit kabyle stipulait qu’un Kabyle qui souhaitait s’appuyer sur le droit coranique, dans une affaire le concernant, avait tout à fait le droit. Sauf si un plaignant mettait en avant le droit kabyle ; dans ce cas, c’était le droit endogène (le droit berbère) qui s’appliquait et non pas le droit musulman. Quand le sage Mohand Verver le noble porta l’affaire de la polygamie devant l’Assemblée générale des citoyens (Agraw), il s’attendait – en vertu de l’application du droit interne – à ce que sa requête fût aussitôt entendue. Mais au lieu de cela, comme le polygame était un personnage puissant – une sorte de chef des gendarmes de la cité – l’Assemblée le désavoua. Ce dernier ne put supporter un tel déni de justice et déclara aux membres de ladite Assemblée (ixfawen n wegraw) : « Par ce qui vole et se pose, de village de dictateurs je ne resterai entre eux ! » (Aheq ayen yufgen yersen, a taddart iwursusen ur ttγimaγ ger-asen !) Il quitta donc le village d’Ibouzidène et s’en alla s’installer dans une cabane à la sortie de celui-ci. Comme la coutume l’exigeait, chaque semaine, une famille du village pourvoyait à sa nourriture et à tout ce dont il avait besoin. » Dans le conte, c’est la propre petite fille du sage qui abandonna son village, qui tenait à s’occuper de son « Père-servant » (Vava-Ynouva). Tous les soirs, Ghrova rendait visite à son grand-père pour lui porter ses repas et vaquer au petit ménage pour faire en sorte que la cabane fût la plus supportable possible… Dans ses Contes de la tradition orale kabyle[10], Larbi Rabdi nous offre une version bilingue qui porte le titre de Baba Inuba. Taos Amrouche nous a également laissé une version (en français) dont le titre est Le chêne de l’ogre[11]. Une troisième version figure dans les Contes kabyles recueillis par Léo Frobenius, traduits par Mokran Fetta[12], dont le titre est Avava inuva ou l’histoire de Rova et du lion. Pendant mon service militaire, j’ai entendu deux autres versions inédites de camarades originaires de la vallée orientale de la Soummam (Montagnes d’Achtoub et de Tiggoura At Abbès). Une troisième version – quelque peu arabisée – m’a été racontée par un autre camarade de service militaire dont les parents ont émigré depuis longtemps vers la ville de Constantine.
5 – Le mythe du vent (Izri g-wadu)
Ce mythe est parmi les tout premiers que je tiens de mes parents. C’est un mythe que j’ai eu beaucoup de mal à comprendre car il est fort singulier par sa forme qui tient à la fois de la prose et de la rime. La première partie tient donc de la forme ordinaire du discours parlé ou écrit, alors que la seconde est assujettie aux règles de rythme et de musicalité propres à la poésie. Ma mère avait commencé par me raconter la première partie, avant « l’intervention » des « Guetteurs du vent ». Comme elle hésitait sur la suite du récit, mon père était intervenu pour compléter le mythe. Surpris encore par cette singularité, j’ai dû demander plusieurs fois à mes parents de me le répéter. J’avais 20 ans quand mon père me l’a redit pour la dernière fois. Il s’y était pris patiemment pour que je le transcrive de nouveau. Nous avons eu ensuite une longue discussion autour de ce récit et de la mythologie kabyle en général. J’avais besoin de plus d’éclaircissements. Une question étonnait toujours mon père car je la lui posais à chacun de ses récits : « Comment toi et ma mère faites-vous pour retenir avec une telle facilité tant de récits ? » Il répondait toujours en souriant : « Nous avons l’avantage des « guetteurs de vent » : comme nous n’avons ni papier ni stylo, nous faisons en sorte de graver dans notre mémoire tout ce que nous entendons. Mais le papier, c’est mieux : car il permettra que ces récits soient lus par les générations futures. »
Comme dans tous les récits allégoriques et notamment dans les mythes, il est toujours difficile de séparer le profane du sacré. Même après avoir fait la « part des choses » entre les deux principes, je n’ai pas toujours compris tous les champs que recouvre le récit mythologique. Il en est ainsi du mythe du vent dont je n’avais réellement saisi le contenu qu’après avoir écrit ce qui suit : « Le Kabyle avait combattu avec succès le vent qui refroidit l’atmosphère et brise la plante. Il avait édifié des murettes qui entouraient ses champs ; il avait planté des arbres et des haies. Dans un pays à dominante saharienne, les Anciens avaient mené une action fondamentale sur la température. Ce qui a donné ce climat tempéré et ambiant à la région kabyle. Le vent était considéré, à juste titre, comme l’élément le plus influent des éléments physiques. Pour le contrôler un tant soit peu, les Anciens avaient compris qu’il leur fallait prendre grand soin de l’arbre. Le dicton le dit : ‘ Là où l’arbre est absent, la terre est à la merci du vent’ (Anda wlac aleccac, adu akken ibγu yettdac). L’arbre n’était pas seulement considéré comme un « vulgaire végétal », mais en véritable « ancêtre de l’homme. » Dans la mythologie kabyle, le Souverain Suprême a créé l’homme du frêne : premier arbre de la création chez les Berbères et d’autres peuples premiers, tels les Suédois. Les Anciens disaient « À chaque fois qu’un arbre tombe, c’est une personne qui succombe. Et le jour où il n’y aura plus d’arbres sur la terre, c’en sera fini de l’humanité[13]. »
Un dicton mythologique, qui met en scène le vent, dit : « Le vent a dit : ‘Celui qui a compris ma portée saura ce qu’est la valeur du jour ; il verra plus clair quand il marchera dans la nuit car je veillerai sur lui’ (Yenna-yas wavu : Kra g-win yessnen azal-iw, ad yissin azal g-wass ; deg id ad yeddu sari fell-as zgiγ d-aεessas).
6 – Le poète et l’hiver (Izli ger tegrest d-umsefru)
Nous sommes (encore !) en présence d’un mythe fort singulier[14] que mon père m’a raconté pour la première pendant le rude hiver de 1969. C’est un récit poétique qui met en scène le poète (amsefru) et l’hiver[15] (tagrest) qui se mesuraient à travers une joute oratoire (izlan). L’izli, qui n’est aujourd’hui qu’un simple poème chanté, était autrefois une joute d’un genre très précis. Les règles qui régissaient cette fameuse joute sont inscrites dans un dicton non encore oublié : « Pendant les izlan, ce qui est ressenti doit être dit ; en dehors des izlan, plus aucune rancune[16] ! » (Deg izlan illan yella, ar berra wer ccehna !)
Jadis, l’hiver était très rigoureux. Il tuait tout sur son passage : végétal, animal et humain. Les anciens Kabyles cherchaient une solution pour mettre un frein aux exactions de l’hiver : personnage méchant, exécrable et barbare ! Nous passons ainsi d’une vision économique que nous renvoie le mythe du vent à une approche psychosociale et culturelle où le poète a eu raison de l’hiver par la simple magie du verbe. L’hiver s’avoua vaincu et promit de redevenir plus doux… Pour mon père, le message est on ne peut plus clair : « Les gens ont besoin de poésie et de culture pour vivre. Là où la parole du poète fait loi, les hommes et les femmes vivent dans une société qui respecte la diversité culturelle, celle des idées et des croyances (jjmaâ l_liman). »
Je n’ose pas revenir ici sur l’émerveillement que suscitent encore en moi les veillées nocturnes kabyles qui avaient bercé mon enfance. J’en parle dans tous les ouvrages que j’ai consacrés aux contes. Mon père disait : « De toutes les choses qui permettent à l’homme et à la femme de vivre en harmonie, le langage est le plus important. Il permet de dire haut et fort ce que l’individu pense. Quand un dictateur interdit la liberté de parole et d’expression, il prétend supprimer la pensée chez l’individu, ce qui est impossible. Si l’homme est réduit au silence, sa pensée se multiplie et finit par faire rendre raison à celui qui veut l’étouffer. C’est pour cela que le langage humain est si important. Tout ce qui est beau, à commencer par le miracle de la vie et celui de la poésie, n’a de sens que s’il s’appuie sur les mots, sur le langage. »
7 – Le mythe de la langue (Izri g-iles)
Je tiens ce mythe de mon père qui me l’avait raconté en 1969, suite à une altercation qu’il eut ce jour-là avec des gendarmes qui s’en étaient pris à un jeune d’Ighzer Amokrane, mon village. Ils voulaient l’obliger à parler en arabe alors que ce dernier ne parlait que kabyle. Il était une fois un village kabyle qui s’appelait « Le rocher coupé » (Azru Gzem). Ce village avait la particularité d’avoir un fou qui subjuguait les enfants par sa langue. Un jour, il se mit à leur raconter qu’ils pouvaient accéder au paradis. « Comment faire ? » Telle fut la question des enfants, fort intéressés par tout ce que promettait cette entrée au paradis. Le fou leur répondit : « Il vous suffira d’aller jusqu’à la falaise à la sortie du village et de sauter dans le vide… la porte du paradis est juste en bas du ravin. » Les enfants le crurent… Ils coururent vers la falaise et se jetèrent dans le vide. L’Assemblée du village condamna le fou à la peine capitale. Mais la vieille la plus sage de la cité – sans doute la chef de l’Assemblée des femmes (Agraw n tlawin) – décida en lieu et place de la condamnation à mort, que l’on coupe la langue au fou… « Puisque, disait-elle, c’est sa langue qui a provoqué la mort de tous les enfants. » Privé de ses enfants, le village fut également privé de la joie de vivre et d’espérer en l’avenir. Comme dit le vieux proverbe kabyle : « On voit sa vie future à travers les yeux de ses enfants. » Afin de conjurer cette malédiction provoquée par le fou, les habitants décidèrent de partir vivre ailleurs, dans d’autres contrées. Mais les pays des autres ne sont pas toujours accueillants. Les pays des autres ne respectent pas toujours ceux qui viennent de loin car ils ne peuvent faire autrement. Les pays des autres peuvent être dangereux pour les étrangers. Les femmes kabyles le chantent depuis toujours.
Les pays étrangers sont difficiles
Ils sont pareils aux rivières en crue
Nul ne te regarde sinon pour te reprocher
Des choses que tu n’as jamais faites.
Les pays étrangers sont difficiles
Ils sont pareils à la mer en colère
Ils te prennent ce qu’ils veulent avant de te jeter
Ils te font mourir avant de te tuer !
8 – Le mythe du sage des lumières (Lewli n tafat)
Je tiens ce mythe de mon grand-père maternel Ahmed Ali ou-Yidir des Ijaâd Ibouziden. Lui-même dit l’avoir appris de son grand-père Yidir. Il me le raconta en 1972, dans la semaine qui suivit la mort de mon père, un peu comme pour lui rendre hommage. Il me disait : « Je pensais que la mort aurait peur d’un grand sage et d’un grand homme comme ton père. Mais elle est venue le prendre traîtreusement. Tu vois, mon fils, même la mort a changé ! » Je fus tellement étonné par de telles confidences qu’il finit par le remarquer ! Je n’ai jamais vu mon père et mon grand-père maternel converser ensemble ! Je peux même avancer qu’ils avaient appris à s’éviter « le plus naturellement du monde » pour ne pas attirer l’attention sur cette distance qui séparait le beau-fils de son beau-père. Je pensais simplement – après ce que m’avait raconté ma mère – que mon grand-père gardait rancune à mon père pour avoir épousé sa fille. Mon grand-père dut subir la pression du clan – à travers mon charismatique grand-oncle Yahia – pour accepter l’alliance alors que ma mère était déjà promise au fils du caïd Méziane.
Ce mythe était venu dans le propos quand je lui avais demandé des explications à propos de la formule de clôture des mythes dont je ne comprenais pas le sens : « La protection du mythe est pareille à celle du lion ! » (Laεnaya g-izri d-izem !) Formule qui figure également dans ce récit.
« Ecoute bien, mon fils, c’est un mythe que je n’ai jamais raconté à personne. Il me vient de mon grand-père Yidir. Il me l’avait raconté alors que nous étions à la chasse dans l’Akfadou. Il me l’avait raconté car nous avions failli mourir : nous étions tombés dans une crevasse si profonde que nous avions failli y laisser nos vies, si le chien d’un autre chasseur des Aït Yedjer ne nous avait pas découverts. J’avais alors 12 ans. Il me l’avait raconté sans doute pour me rassurer afin que j’arrive à dominer ma peur dans cette profonde crevasse où il nous voyait déjà enterrés à jamais et vivants…».
Je tiens également à préciser que c’est ma mère qui avait insisté à ce que je demande à mon grand-père de me dire des mythes. Comme tous les hommes de sa génération, mon grand-père ne parlait pas beaucoup. Il se contentait de s’enquérir de notre santé physique et morale et de nous donner sa bénédiction.
Comme on ne doit pas raconter de mythe sans tenir de la nourriture – des graines de céréale de préférence – dans sa main, mon grand-père mit la main dans sa poche et sortit quelques grains de blé et… me touchant doucement la main, il se mit à raconter… Il a donc fallu la mort de mon père pour que mon grand-père se livre entièrement à moi, lui qui parlait si peu ! Je ne sais pas ce qu’il aurait dit, s’il était encore vivant, de ma décision de dévoiler ces mythes au public. J’ai déjà parlé de sa réticence quant à faire connaître ses récits sacrés aux étrangers. Lui et mon père avaient une sainte peur que ces textes porteurs de croyances anciennes ne soient pas ou mal compris. C’est pour cela que mon père et mon grand-père me disaient : « Quand tu dépasseras les 40 ans, âge de sagesse et de raison, tu prendras seul la décision de les faire connaître ou de continuer à les garder pour tes propres enfants et petits-enfants. » Je dois avouer que j’éprouve à chaque fois une certaine crainte, un pincement au cœur que ces récits sacrés soient considérés comme des « histoires à dormir debout. » Le docteur Joseph Gabel, à qui je faisais part de mes sentiments, m’avait dit : « Cher ami, ceux qui comprendront vous loueront ; ceux qui n’auront rien compris vous découvriront. Dans les deux cas, vous aurez rempli votre mission de transmettre des récits séculaires. C’est, me semble-t-il, le vœu même de votre défunt père… Ce n’est qu’ainsi que l’homme et la science avancent. »
Je ne reviendrai pas longuement ici sur la traduction de ces récits. J’ai déjà abordé le sujet par deux fois, dans deux précédents ouvrages[17]. En revanche, je veux attirer l’attention plus particulièrement sur la traduction du dernier mythe « Le sage des lumières ». Comme tous les mythes, où prose et poésie se côtoient, j’ai rencontré quelques difficultés pour restituer le « contenu global et qualitatif » du récit. Je ne me suis pas appesanti dans la traduction d’hapax, et de métaphores. Je n’ai pas non plus pris sur moi de « lisser » les nombreux stratagèmes linguistiques que d’aucuns ont appelés « particularismes » et « kabylismes ». J’ai fait en sorte de restituer le plus fidèlement possible le texte kabyle sans pour autant sacrifier ce qui fait son originalité et sa sécularité.
Par conséquent, il m’a semblé important de sacrifier quelque fois la traduction pour rester fidèle au texte original. Ces « textes oraux » viennent de loin, « de la nuit des temps » (seg’wasmi i di-tejna ddunnit), comme on dit en kabyle. Paraphrases, tournures et métaphores, hapax et formules désuètes peuvent surprendre le lecteur. Au lieu de les supprimer, en donnant ainsi « un texte poli », plus proche du « français standard » – si tant est que celui-ci existe -, un texte privé de toute originalité ; j’ai pensé, au contraire, qu’il est d’une nécessité scientifique de garder autant que possible les « traces » et les « lourdeurs » et les « solennités » du texte berbère.
[1] J. Servier, Tradition et civilisation berbère, éditions du Rocher, 1985.
[2] Je rapporterai dans un prochain ouvrage les mythes kabyles qui traitent de la mort.
[3] Docteur en médecine, Joseph Gabel (1912-2004) était aussi un sociologue et un philosophe français d’origine hongroise. Penseur engagé, il est resté toute sa vie fidèle au marxisme tout en étant hostile au stalinisme et à la pensée de Louis Altusser. C’est sans doute le plus grand spécialiste de l’aliénation. Cf. La fausse conscience, Les éditions de Minuit, 1977.
[4] Cf. Sagesses de l’olivier, éditions l’Harmattan, 2009. Une version a été recueillie par Léo Frobénius, Contes kabyles, tome 1. Traduction de Mokran Fetta. Editions Edisud, 1995, pp. 51.52.
[5] Aujourd’hui, en Kabylie, des imams essaient d’empêcher l’organisation de certaines fêtes berbères anté-islamiques.
[6] L. Frobénius, Contes kabyles, 4 tomes, traduction Mokran Fetta, éditions Edisud, Aix-en-Provence, 1995-1998.
[7] Cf. L’ogresse et l’abeille, L’Harmattan, 2009.
[8] Cf. Y. Allioui, Devinettes berbères, Groupe d’Etudes et de Recherches Berbères de Paris V, Direction Fernand Bentolila, CILF, 1987, p. 381.
[9] Cf. Taos Amrouche, Le grain magique, F. Maspéro, 1981 p. 129.
[10] Contes de la tradition orale kabyle, L’Harmattan, 2006, p. 194.
[11] Le grain magique, op. cit., p. 139.
[12] Contes kabyles, Tome III : Le Fabuleux, p. 163.
[13] Cf. Les Archs, tribus berbères de Kabylie, Histoire, résistance, culture et démocratie, L’Harmattan, 2006.
[14] On peut lire une version dans l’agenda berbère de F. et Ali Sayad Agenda Berbère – Tiggura useggwas – Diffusion L’Harmattan, p. 35.
[15] Une remarque d’intérêt sémantique s’impose encore ici : en kabyle, le mot « hiver » est un sujet féminin.
[16] Cf. Enigmes et joutes oratoires de Kabylie, L’Harmattan, 2006.
[17] Enigmes et joutes oratoires de Kabylie et L’ogresse et l’abeille – Contes kabyles, éditions l’Harmattan.
Remarques : Une erreur s’est glissée dans le texte édité concernant le mois de l’assassinat de Lwennas Matoub : Merci de lire en lieu et place du 25 décembre 1998, 25 juin 1998. Que notre ami et frère Lwennas me pardonne : une erreur sans doute qui en dit long sur mon état d’esprit quand j’ai appris sa mort : le mois de son assassinat est encore pour mois comme le plus noir des mois de décembre avec son froide glacial et ses violents orages.
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