Publié par : youcefallioui | octobre 26, 2014

Mon père… Quand l’amour et la gratitude l’emportent sur la mort !

DES FEMMES DE MA TRIBU… APRES LA MORT DE MON PERE

Il est étonnant comment après la mort de mon père, je m’étais mis à analyser (presque inconsciemment) les caractères de tous ces hommes ingrats proches ou éloignés qui léchaient la main de mon père afin de mieux nous mordre une fois sa disparition.
Mais dans leur majorité, les gens de ma tribu – Awzellaguen – se montrèrent exemplaires. Ils étaient et continuent d’être reconnaissants.
Les plus braves sont sans aucun doute les femmes. Mon Dieu, quelles femmes ! Tant de sagesse, de savoir, de modestie et d’abnégation ! Tant de beauté accompagnée de rires sonores ! Tant de courage et de reconnaissance ! Tant d’amour que seule mes parents pouvaient me témoigner ! Je découvrais enfin pourquoi mon arrière-grand-mère disait de la femme : « Elle est le soc de la terre qui creuse les sillons qui enfantent et nourrissent les hommes ! » ; « Un pays ne connaîtra jamais le printemps, si la femme ne vit pas dans le bonheur et le respect. » Autant de formules où l’avenir d’un pays ne se lisent que dans le regard de la Femme !

Quand, ma mère et moi, étions face aux travaux des champs, les voilà qui arrivaient chaque matin aux aurores, avec leur bonne humeur et leur fraîcheur, pour se mettre à l’ouvrage à nos côtés. Elles faisaient tout pour que je fasse le minimum… L’une d’elle, notamment Nna Jedjiga Ihaddadène, me demandait toujours d’aller chercher de l’eau ou quelque chose d’autre… pour me laisser me reposer ! J’en avais tellement besoin ! J’avais besoin d’entendre de nouveau leurs voix, leurs rires à gorge déployée tout en parlant de papa et en racontant mille et une anecdotes à son propos, surtout les plus drôles.

En voici une qui resta dans les annales !

Na Jedjiga racontait sans cesse le jour où mon père la surprit en train de se laver au jardin. Ne sachant pas comment se cacher et dans sa panique, elle plongea au contraire dans sa direction pour se mettre dans ses bras. Et mon père qui lui disait : « Ce n’est rien ma fille ! Ce n’est rien ! Tu as l’âge de ma fille Zahra. Je vais retourner d’où je suis venu et je te laisse continuer à te laver ! »
Alors qu’il voulait se retourner pour s’en aller et la laisser seule, elle s’accrochait à lui et ne voulait plus le lâcher ! Alors, mon père se mit en colère et lui dit : « Tu vas me lâcher où je te plonge dans le bassin ! » Rien n’y fit ! Il fallut qu’il laissât sa veste – à laquelle Nna Jedjiga s’accrochait – pour qu’il pût se dégager et s’enfuir d’un pas rapide vers la maison !
Nna Jedjiga ajoutait : « Quand Nna Tawes (ma mère) vit la chemise déchirée de Ddadda Méziane, j’eus peur qu’elle pense qu’il avait essayé d’abuser de moi ! »
En effet, quand ma mère vit cela, elle descendit aussitôt au jardin, car mon père répétait : « Jedjiga Ihaddadène est devenue folle ! »
Elle trouva Nna Jedjiga en train de pleurer de honte ne sachant plus comment oser revoir mon père. Ma mère la rassura en lui disant que papa était un homme pas comme les autres et que lorsqu’il disait que « Jedjiga Ihaddadène est folle », c’était simplement pour signifier qu’elle avait perdu contenance quand il la surprit en train de se laver sur la plate-forme du bassin.
Nna Jedjiga faisait tout pour éviter mon père pendant plusieurs semaines. Mais un matin, elle tomba nez à nez sur lui ! Mon père l’apostropha en plaisantant : « Ô Jedjiga, ma fille !Tu as volé quelque chose ou quoi !? Va prendre un café, va ! Cela te remettra les idées en place ! »

C’étaient autant d’anecdotes qui me faisaient rire et qui me faisaient penser que papa ne nous quitterait jamais, ne me quitterait jamais. Quand je rencontrai quelqu’un de ma tribu, c’était pour faire son éloge… « Il m’avait donné de quoi nourrir mes enfants… » Il est vrai que mon père – au moment où certains profitaient de la guerre pour s’enrichir – donnait tout ce qu’il pouvait donner ! Un jour, ma mère s’aperçut que même la réserve de céréales que nous laissions pour les semaisons n’étaient plus là… Aujourd’hui encore, les gens de ma tribu et notamment les femmes – veuves de guerre que mon père avait traitées comme ses filles – viennent se recueillir sur sa tombe et celle de ma mère, enterrée à ses côtés… Les gens leur témoignent toujours respect et reconnaissance…

J’en aurai la preuve bien des années après, lorsque je quittai l’Algérie pour la France, car je ne supportais plus l’absence de mon père.

Beaucoup de gens – Kabyles ou pas – m’ont soutenu où que je pose mes pieds… Je finis par comprendre (enfin !) une pensée que mon père ne cessait de répéter : « Chaque pays à ses visages, mais Dieu EST partout le même ! » (Yal tamurt s wudmawen-is, ma d Rebbi yiwen i’gellan ! »

J’ai fini par comprendre qu’il me signifiait que partout à travers la terre, je trouverai des hommes et des femmes qui portent au plus haut les valeurs humaines de soutien, de tolérance, de respect et de fraternité !

Nna Jedjiga disait de lui : « C’est bien plus qu’un prophète… il donnait de l’orge et du blé à ceux qui en avaient besoin… ».

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