Publié par : youcefallioui | avril 17, 2015

20 avril – Printemps berbère ou l’écho de l’Amusnaw

I WASAL N DDA LMULUD

A LA MEMOIRE DE MOULOUD MAMMERI

Le 20 AVRIL ou l’écho de l’Amusnaw

Une amie m’a reproché d’avoir délaissé mon blog. « Le 20 avril, c’est dans trois jours, écris-nous quelque chose, s’il te plait ! »

Récemment, une vieille grand-mère (Nna Tasaâdit), qui m’avait entendu parler des énigmes, demande à son petit-fils de m’en transmettre deux créations qui lui sont propres « pour me rendre hommage », me dit-il. J’ai été très touché pour cet éloge !
J’ai donc pensé à celui à qui il revenait de droit : Mouloud Mammeri ou Dda Lmulud, comme nous l’appelons en kabyle ; tant et si bien que notre langue nous offre encore quelques espaces pour nous retrouver et nous sentir comme un peuple entier grâce à ces mots que seuls les Imazighen et notamment les Kabyles utilisent encore… Ce sont autant d’indices d’une mémoire qui vient de la nuit des temps… Une mémoire dont nous sommes porteurs et dont nous accumulons tant bien que mal la richesse.
Voici donc ces énigmes que je restitue à la mémoire du grand Amusnaw kabyle Mouloud Mammeri. Nous lui devons d’être là ; de marquer par notre présence épistolaire cette mémoire millénaire que tous les vents furieux de l’ignorance et de la bêtise n’ont pu faire disparaître malgré tous les chocs violents auxquels elle a dû faire face et qu’elle continue de combattre avec paix et sérénité comme ce chêne de l’Assemblé auquel faisait allusion l’énigme de Nna Tasaâdit de cette belle et merveilleuse contrée kabyle qu’est Bou-Zeggane :
« Le chêne de l’Assemblée, sa parole porte comme une batte – Le sage » (Tasaft n Wegraw, awal-is yugar alqaw – Amusnaw).

La seconde énigme nous renvoie vers l’association parole/tissage, expression allégorique et polysynthétique que l’on peut retrouver dans beaucoup de langues autochtones comme tamazight.

« Un métier à tisser sans lisse et sans fils de trame qui est brodé avec allégorie et confiance – La parole » (Azetta mebla ilni d- ulman izda s tweqda d laman – Awal).
Beaucoup de Kabyles m’accostent dans la rue pour me saluer et me féliciter à propos de ce que j’écris. Beaucoup reviennent sur les énigmes. « C’est un genre littéraire majeur » (Fernand Bentolila) auquel j’ai déjà consacré plusieurs ouvrages.
Mon dernier et plus beau souvenir, je le dois à cette petite fille d’environ six ans qui plus est porte le même prénom que ma douce mère – Tawes – ce qui est fort rare aujourd’hui, à l’heure où les Kabyles s’envolent vers d’autres prénoms qui ne signifient rien pour nous ! Tawes m’apostrophe donc dans la rue pour me dire une énigme qu’elle avait relevée dans l’un de mes ouvrages.

Quand sa maman se pencha vers elle pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille tout en me fixant du regard, j’étais loin de « deviner » qu’elle était en train de lui dire quelque chose comme : « Dis-lui une devinette… C’est ce monsieur qui a écrit le livre que je t’ai acheté sur les énigmes ! »
La petite se gratta l’oreille – un peu comme dans le conte « L’oiseau de l’orage ». Arrivé à leur niveau, elle me dit l’air bien gêné : « Oh la la ! Je me souviens de la devinette, mais je ne sais pas comment je vais la dire ! »
Je fais mine de l’aider : « C’est laquelle ? Elle parle de quoi, la devinette ? » Lui dis-je en souriant. Elle me répondit alors : « Elle parle de la chauve-souris… ça y est, je me rappelle ! » Et dans l’instant, beaucoup de monde put entendre une devinette kabyle en plein marché de Belleville : « Quel est l’oiseau qui allaite ? » (Anwa afrux yessuttudhen ?)
D’entendre cette devinette déclinée dans les deux langues, en français d’abord puis en kabyle m’avait rempli de joie ! Ce fut donc en plein marché de Belleville (Paris 11ème) que la petite fille, la maman et moi avions discuté des énigmes et des devinettes pendant près d’une heure !
Comme quoi il suffisait d’une devinette pour que la braise – jetée un 20 avril par Dda Lmulud l’Amusnaw – se remette à briller dans les yeux d’une petite fille au point de m’éclairer… Et de me dire qu’il est très important que je partage cette belle anecdote qui aurait plu et faire sourire le grand Mouloud Mammeri. J’aurais aimé que pareille chose ait lieu quotidiennement dans les écoles algériennes et notamment en Kabylie… Dire une énigme, c’est comme se sentir vivre et faisant partie d’un peuple autochtone : le peuple amazigh d’Afrique du Nord.
C’est à chaque fois dans des moments semblables que se détermine en moi ce rapport charnel aux textes oraux des Anciens, dont Mouloud Mammeri disait de son vivant : « Il faut se hâter de happer les dernières voix… ». La plupart de ces textes oraux ont été et continuent d’être véhiculés par les femmes. Dès lors, continuer à donner une forme à ces énigmes, à ces textes oraux qui viennent de la nuit des temps, c’est comme redonner vie à tous ces mots qui osaient, malgré la guerre et la misère, sortir de ce silence douloureux, à travers les voix d’enfants qui seuls pouvaient le rendre supportable en donnant une grande légèreté aux sentiments et aux mots.

C’est ce que représente pour nous le 20 avril : un vent doux et léger qui donne tout leur sens aux sentiments qui unissent le peuple kabyle à travers ses mots, tant et si bien qu’Awal signifie pour nous « toutes les étoiles dans le ciel où le feu majestueux dont parlait Mouloud Mammeri – celui de la culture, de l’histoire dans l’union et la solidarité, seul capable de donner tout son sens au 20 avril.
« Ne chantez pas jusqu’à lasser vos oreilles  ! Ne dansez pas jusqu’à épuiser vos corps ! Sachez aussi dire les mots en silence en communion, la main dans la main, en regardant le vaste pays de vos ancêtres qui vous entendent perpétuer leur mémoire. » « Mythe du maître des montagnes » (Izri n Bab Idurar).

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Réponses

  1. Azul a Dda Youcef !
    Nous n’avons plus de vos nouvelles ! C’est inquiétant ! Nous nous sommes régalés lors de vos émissions sur BRTV ! Le niveau a tout de suite été relevé ! Les gens que je connais disent de vous : Quel homme et quel Kabyle (l’homme et sa langue !) Cela fait plaisir. Il y a, je crois, un colloque sur les Berbères à la Sorbonne ; je m’étonne que vous ne soyez pas des invités ! Je crois que l’on n’aime pas votre franc-parler et surtout votre langue kabyle qui décape tous les prétentieux ! Enfin, nous les Kabyles, nous sommes comme ça. Il paraît qu’il vont décerner un « Master Camille Lacoste Dujardin » ! Je suis très étonné ! Je m’attendais à un master Mouloud Mammeri, Jean Amrouche, Taos Amrouche ou Malek Ouari et il y en a plein d’autres écrivains kabyles qui auraient mérité cela ! Qu’en dites-vous ? Ou bien, comme vous dites : « Nous ne sommes pas sortis de l’auberge de l’ethnologie coloniale ! »
    Enfin, j’espère et nous espérons vous entendre et vous revoir bientôt sur BRTV ou ailleurs. Nous sommes inquiets car on nous dit que vous n’êtes pas en bonne santé. J’espère que vous vous reposez bien et que vous nous concoctez quelque chose encore sur notre littérature orale dont, pour ce qui me concerne, vous êtes le meilleur spécialiste de tous les temps ! Pas un ne vous arrive à la cheville et ne maîtrise comme vous la langue kabyle ! Nous avons des frissons quand nous vous écoutons ! Bonne santé et prenez bien soin de vous, vous êtes très précieux pour notre culture et notre langue. Massine


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