ASSOCIATION BERBERE TAFERKA MONTREUIL
CONFERENCE-DEBAT
L’association Berbère TAFERKA organise une conférence-débat avec
le Dr Youcef Allioui,
autour de son dernier ouvrage intitulé :
« La langue et la mémoire »
« Tameslayt D Wasal »
Editions bilingue berbère-français. L’Harmattan
Samedi 31 octobre 2015 à 14 h 30
Entrée libre – un pot d’amitié sera offert
Au 60 rue Franklin, métro Mairie de Montreuil
Tél. : 06 23 01 53 62
Association régie par la loi du 01 juillet 1901, déclarée à la préfecture de la seine saint Denis sous le n° w931002121.Adresse: 49, bis avenue de la Resistance-93100 Montreuil .site : www.taferka.fr – E-mail :berberetaferka@yhaoo.fr
CONFERENCE ET PRESENTATION
DE L’OUVRAGE
La langue et la mémoire – Tameslayt D wasal
ARGUMENTS
« Une seule braise éclaire la maison – L’énigme » (Yiwet tirgit teccur axxam – TamsaԐreqt)
« Un grain qui appelle et surgit une merveille – L’énigme » (Yessawel uâeqqa, teffegh-d tbaqa – – TamsaԐreqt)
Mohand Améziane Ouchivane, mon père : « Une énigme est semblable au papillon qui se pose sur une fleur au printemps » (Tamsaâreqt am ufertetu yersen af ujeggig di tefsut.)
Le philosophe et psychosociologue de l’aliénation Joseph GABEL : « Il y a quelque part des traces linguistiques d’une intense perspicacité chez d’autres peuples autochtones semblables au peuple berbère… Des traces d’une immensité première, vivifiantes à souhait et porteuses d’un sens profond qui plonge ses racines dans l’histoire de l’humanité. C’est ce que les Berbères devraient attiser et se garder d’oublier – comme ces contes et ces énigmes venus des premiers âges où, probablement, vos ancêtres régnaient encore sur l’Egypte ancienne – sous peine de disparaître comme bon nombre de peuples premiers. »
Un peuple sans culture ne peut aspirer à une vie décente ni à la prise en main de son avenir. Mon père exagérait sans doute quand il me disait : « Un seul conte kabyle vaut tous les livres du monde (Yiwet tmacahutt nnegh tif yakw tiktabin n ddunnit !)
Ce n’est qu’en prenant de l’âge et après avoir travaillé – pendant de longues années dans de centres de recherches – que j’ai pu comprendre un tant soit où mon vieux père voulait situer le débat : un conte dit (et écrit) dans notre langue signifie que le peuple amazigh est encore et sera à jamais de ce monde… Il avait senti que les peuples premiers et autochtones (At-tmurt, comme disaient les anciens Kabyles) disparaissaient imperceptiblement devant l’indifférence et la satisfaction des modèles dominants et glottophages.
Roland Barthes disait à juste titre : « Voler son langage à un homme au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là. »
Je l’avais très vite compris quand à je fis mon entrée à l’école française à l’âge de 11 ans : Je fus violemment frappé à la fois par l’instituteur français et l’instituteur arabe pour la même raison : J’avais osé parler en kabyle à l’école !
Avec l’officialisation prochaine de notre langue en Algérie et partout en Tamazgha terre des Imazighen, notre espoir et notre détermination s’inscrivent dans un avenir proche où les contes, le joutes oratoires, la poésie, les énigmes, les comptines ainsi que tous les pans de notre littérature orale – dans un souffle nouveau – soient repris soit repris dans toutes les écoles de Tamazgha.
De l’utilisation des énigmes à des fins pédagogiques
Résumé de ces recommandations (cf. Conclusion du livre).
Pour qu’ils puissent participer pleinement au jeu, l’élève, l’auditeur et le téléspectateur ont besoin de plus de précisions et des règles de transmissions instaurées par les Anciens. Ce sont ces règles que je me fais un devoir d’exposer et d’expliciter dans tous mes ouvrages et notamment ceux qui traitent des énigmes :
1 – Quelles sont les modalités de création des énigmes et des devinettes ?
2 – Quelle différence y a-t-il entre énigme et devinette ?
3 – Quelles sont les règles qui président au jeu des énigmes ?
4 – Quelles sont la structure et la morphologie qui dominent dans la « langue particulière » des énigmes : utilisation d’hapax, d’une morphosyntaxe malaisée, d’expressions idiomatiques et polysémiques, de dictons et des maximes détournés au bénéfice des énigmes, des incipits tirés de proverbes, de contes et de mythes.
5 – Expliquer la portée polysynthétique ou incorporative de la langue kabyle ainsi que le génie linguistique des Anciens qui se jouent, par exemple, des géminées, comme dans l’énigme suivante :
« C’est dans le trèfle que j’ai trouvé son nom – L’hyène. » (Deg iffis i yufi isem-is –– Ifis.)
Le rôle pédagogique porté par tous les pans de notre littérature orale nous donne aussi vers la fonction symbolique qui caractérise davantage encore le message et la forme littéraire de l’énigme. Une fonction symbolique où le non-dit, le sens caché, est révélé à travers les images et les symboles d’un monde, d’une pensée synthétique voire holistique plutôt qu’individualiste et analytique. La voie holistique voit toutes les choses et tous les êtres vivants comme liés. Cette approche ne sépare pas l’élément du tout, l’individu du groupe ou l’homme de la nature. Aussi, ce qui me paraît digne d’intérêt, c’est l’importance accordée par les anciens Kabyles à l’environnement et à la nature. Les éléments qui les composent sont considérés de façon quasi religieuse ou ordalique.
La fonction psychologique : au plus haut de l’échelle de la sagesse, tout comme pendant les rencontres de « gens ordinaires », il est possible d’entrer de pleine conscience (taguri di wasal) dans ce niveau caché où le message s’adresse parfois au plus profond de chacun. Le lecteur ne manquera pas de relever la fonction historique – à laquelle nous avions déjà fait allusion à plusieurs reprises – à travers le jeu magnifique des énigmes qui a aussi et surtout une fonction de divertissement sans laquelle les autres fonctions n’auraient probablement pas existé, ou à tout le moins n’auraient pas eu le poids de cette universalité que l’on retrouve à travers la littérature orale.
Cette littérature d’une richesse extraordinaire, laissée pour compte en Afrique du Nord est pourtant mise en valeur un peu partout dans le monde éducatif occidental. Il est impossible d’entrer dans une école – du stade maternel à celui de l’Université – sans que l’on soit interpellé par l’intérêt qui est porté à cette littérature qui fait partie du patrimoine immatériel de l’humanité.
Si seulement cela pouvait encourager les Imazighen en général et les Kabyles en particulier à s’emparer de ce trésor légué par les ancêtres afin qu’il ne tombe pas dans l’oubli.
Aujourd’hui que les Anciens nous ont tous quittés, la transmission vécue n’existe plus. Il nous reste la transmission orale pour peu d’années encore, tant il est vrai que lorsque la première s’arrête, la seconde, à son tour, ne tarde pas à disparaître. Car une civilisation est d’abord vécue avant d’être pensée et transmise sous forme d’énigmes, d’adages, de maximes, de contes, de mythes, de proverbes et d’axiomes percutants ou « porteurs » pour empêcher le temps et les ignorants de l’emporter sur ce que l’humanité à d’universel. Qu’on ne s’y trompe pas, une langue meurt quand plus personne ne la parle et ne la transmet. Notre devoir est de préserver la nôtre, en butte aux hostilités de l’idéologie culturelle dominante. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons témoigner aux générations futures notre soif de vouloir servir toute l’Humanité.
La littérature orale, qui véhicule l’ensemble des connaissances sur le monde, la nature et la société – l’Homme amazigh et sa pensée – peut contribuer à l’éveil de la conscience d’un peuple, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un peuple opprimé, comme le peuple berbère/amazigh. Cet éveil passe notamment par la recouvrance et l’exaltation de sa langue maternelle grâce à l’assignation d’une dimension universelle faite à la littérature orale traditionnelle autochtone qui tient ses racines d’une civilisation amazighe millénaire.
Youcef ALLIOUI
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