Publié par : youcefallioui | décembre 18, 2015

AGRAW… au temps des Imusnawen – La parole et l’Assemblée

Couverture - AmusnawPensée Kabyle : Awal yessirid wayed –
« Toute parole qui manque de sens peut être lavée par d’autres mots. »

Reprendre ce texte me semblait nécessaire à plus d’un titre… Evacuer les quelques coquilles que les lecteurs m’ont déjà signalées ; simplifier les phrases et les expressions auxquelles les lecteurs ne sont plus habitués ; expliquer davantage les points d’ombre que présente le texte original. Tous ces « allègements » ne sont nécessaires que pour une raison principale : montrer – à l’exemple d’un Raymond QUENEAU pour la langue française – que la langue kabyle recèle de grandes facultés d’adaptation et d’adhésion à « tout sens de langage ambigu venu d’ailleurs » (J. Gabel) pour appréhender de mille et une façons un texte qui peut être difficile tant du point de vue grammatical, lexical ou prosodique .
C’est donc pour rendre ce texte plus accessible pour tous que cette nouvelle édition m’a parue nécessaire. J’espère ainsi avoir tenu compte des remarques de celles et ceux qui avaient lu la première version.
« Nous constatons alors qu’une traduction n’a de sens que si
le traducteur pense à obtenir, autant que faire se peut, le
fidèle enracinement qui lie la langue cible à sa société, à ses
usagers. Un peu comme dans le dicton ancien qui dit : « La
racine suit la tige » (Azar yettabaâ tara), sous peine de n’être
reconnue par personne et de connaître le même
anéantissement – que nous avait imposé l’école française
pendant la colonisation –, la langue amazighe doit d’abord et
avant tout suivre la société et le peuple où elle a pris racine.
Les anciens Kabyles utilisaient un dicton qui synthétise et
stigmatise l’aliénation linguistique : « Qui a une langue se
sent plus en sécurité ! » (Win isâan iles yetwennes !)
Ma sage maman disait : « La lumière de l’enfant, c’est sa
langue maternelle. » Sans doute qu’elle se rappelait le jour de
septembre 1961 où je revins de l’école… les mains
ensanglantées pour avoir osé parler en kabyle. (p. 118, in la première version : Amsayer).

AGRAW… au temps des Imusnawen

Mon père disait : « Un mot (malheureux) peut être lavé par un autre mot (sensé) » (Awal yessirid wayed).
C’est en pendant aux enseignements de mon père – Mohand Améziane Ouchivane – que j’ai pensé redonner une autre version du texte de Khalil GIBRAN : Le Prophète (The Prophet).
Paru la première fois avec le titre de Amsayer (Le Prophète), la nouvelle édition porte un nouveau titre : Amusnaw (Le Sage). Et ceux et celles qui ont connu mon père savent ô combien ce titre lui sied à merveille…

C’est une version dont j’ai clôturé chaque chapitre par une pensée de mon père. C’est aussi une version que j’ai voulue plus légère : en apportant un maximum d’éclaircissements lexicaux et textuels pour que le lecteur puisse pénétrer et comprendre toutes les nuances de ce texte dont la richesse n’est plus à démontrer.
C’est une version qui, à l’instar d’un Raymond QUENEAU, montre que notre langue – Taqvaylit – peut s’adapter à plusieurs niveaux de traductions. « Du degré zéro », de Roland BARTHES au degré sapiential de Mouloud MAMMERI selon le Cheikh Mohand Ou-Lhocine.
Pensées que mon père attribuait au sien, mon grand-père Mohand Achivane :
1 – Yal tamurt s wudmawen-is, ma d Rebbi yiwen i’gellan ! (Chaque pays a ses visages, mais Dieu est partout le même !)
2 – Axxam herz-it !
Aqcic rebb-it !
Gma-k hader-it !
Iger essew-it !
Erfed w’ur nesi ifadden, ma d Rebbi anef-as i medden !

Ta maison, protège-la !
Ton enfant, éduque-le !
Ton frère, prends-en soin !
Ton champ, irrigue-le !
Aide celui qui est démuni ; quant à Dieu, laisse-le aux autres !

Anecdote racontée par l’Amusnaw Mohand Qasi At Bujemâa (Dda Muhend Qasi) :
Awal ibexsen, yessirid-it wawal iggerzen – Un mot malheureux peut être lavé par un mot admirable.
« Mohand Ichaddiwen, dans un excès de colère, lâcha en cours d’Assemblée : « Cette Assemblée manque de discernement ! » (Agraw-agi ixuss deg’wasal !)
Mohand Achivane (mon grand-père) lui répondit : « Xas twaladh ixuss Wegraw-agi, a Muhend Ichaddiwen, kecci nessen-ik ur t-xussed ara ; tzeggdhedh-d kan deg’wmeslay ! » (Mon cher Mohand des Ichaddiwen, même si cette Assemblée te semble manquer de discernement ; toi, nous te savons plein de sagesse ; tu as juste ajouté un mot de trop ! »
Et, comme cela arrivait souvent à l’époque où les hommes et les femmes se mesuraient au degré de leur sagesse, pour se faire « pardonner », Mohand Ichaddiwen dit alors ce poème :
D-iles-iw i d-yeggwin lada
Buddegh-as lmus a-t yegzem !
Kulci i teddu s lehdada
Tejja-yi tmusni ger irgazen
Ar yidma s’kr’illan da
Nettwasser s wudmawen-nwen !

C’est ma langue qui a jeté l’opprobre
Elle mérite d’être coupée au couteau !
Toute chose a besoin de retenue
La sagesse m’a laissé nu entre les hommes
J’implore les sages de cette Assemblée
Et que le pardon me soit concédé !

Les anciens Kabyles disaient aussi : « Awal yessefsay uzal » (Le mot peut faire fondre le fer) ; « Bu yiles, medden akw ynes » (Qui a l’éloquence a tout le monde à lui : diction cher à Dda Lmulud) ; « Bu-yiles izmer ad itedh taseda ! » (Qui a l’éloquence peut boire le lait de la lionne !)
J’ai recensé près de 40 proverbes et pensées sur « la parole » (Ameslay) ou « le mot » (Awal). Car dans la langue kabyle, la nuance entre les deux termes est très ténue.
Ameslay deg’s awal, awal ibennu ameslay (La parole est faite de mot, le mot construit la parole).
– Alors si vous voulez faire un cadeau de fin d’année ou de nouvel an… Offrez un livre !
– Dgha, ma yella tebgham a-t gem asefk n yixf useggwass nagh n useggwas amaynut… Ssifket adlis !
Win isâan iles yetwennes !
Qui a une langue se sent en sécurité !

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Réponses

  1. Azul mas Alioui,
    Pourriez vous nous expliquer un peu comment une langue disparaît puis se régénère comme ont fait les israéliens, cela tout de même relève d’un miracle, lorsque on entend dire que beaucoup de langues disparaissent chaque seconde dans le monde.le cas de l’anglais aussi , un certain temps il était minorité par le français et maintenant c’est le contraire.
    Je vous souhaite une bonne continuation dans le écriture et la culture,
    Joyeuses fêtes de fin d’année ,
    Aseggas amgaz, 2016

    Zakaria C.

    • Azul a Zakaria,
      Parlez du phénomène de disparition des langues est très complexe. Faute de temps et de place, je prendrai la voie la plus simple. Au début des années 70, l’arabisation, en Algérie, avait pour but de faire disparaître le tamazight ! Mais, le système politique de l’époque avait oublié que la langue qui faisait marcher l’Algérie, c’était le français et non pas l’arabe… Du coup, les intellectuels kabyles s’étaient emparé de ce « butin de guerre » (Kateb Yacine) pour dire en substance ceci : « L’amazigh est une langue comme les autres… » Il fallait se battre… Nous avons eu la chance d’avoir des hommes comme Mouloud MAMMERI (Bessaoud Md Arab – Académie Berbère) qui avaient fait en sorte de le montrer. Ce qui nous a permis de prendre conscience de notre identité culturelle et linguistique. Nous nous sommes battus pour cela… Beaucoup de jeunes kabyles sont morts aussi pour cela ! Il ne faut pas l’oublier… Il ne faut pas oublier la phrase du président Bouteflika qui avait déclaré (au Canada) que tant qu’il serait vivant, le tamazight ne sera jamais langue officielle en Algérie… Mais, après l’assassinat de près de 130 jeunes kabyles par la gendarmerie algérienne, la seule réponse qu’il pouvait donner à cette tragédie, c’est de permettre l’enseignement de tamazight… Notre langue est aujourd’hui enseignée comme langue facultative, ce qui est une honte pour l’Algérie ! Mais, juste à côté au Maroc, l’amazigh est langue officielle ! Et le pouvoir algérien a maintenant un clou dans la chaussure ! Il finira, bon gré mal gré, par venir à l’officialisation du tamazight… Le fait de faire dépendre certaines structures comme le HCA de la présidence, ce n’est qu’une échappatoire pour ralentir le retour de l’Algérie vers sa langue d’origine… Et cette régénération est le fait de volontés individuelles… C’est pour cela qu’elle ne prend pas encore toute l’envergure qu’elle mérite. Quand je suis allé au Maroc, j’ai trouvé mes livres dans la bibliothèque de L’Institut Royal de l’Amazighité… Je ne pense pas que le HCA ait un seul exemplaire de mes ouvrages ou des ouvrages d’autres auteurs qui « défendent » tamazight… Cela reste au niveau du copinage, auquel les instances algériennes nous ont habitués. Au Maroc, la démarche est totalement différente : un recensement rigoureux est fait de tout ce qui tourne autour de l’amazigh ! Ce qui signifie, pour abréger, qu’il faut qu’un Etat prenne en charge totalement et sérieusement sa langue pour qu’elle se régénère rapidement et qu’elle prenne l’essor de toutes les autres langues « qui ont un Etat, une police, une armée, une gendarmerie, une administration et… UNE ECOLE » ; je paraphrase un grand linguiste qui a toujours défendu les langues populaires et autochtones : Louis-Jean CALVET.
      Juste un mot : l’Anglais est repassé devant le français quand la puissance américaine l’avait emporté sur le monde ; vint ensuite l’Australie et d’autres pays au moment où la France avait quelque peu délaissé sa langue… Comme elle le fait toujours par rapport au pays de l’Afrique de Nord et de l’Afrique en général. Pendant que le français se « retirait » de Russie, et bien d’autres pays,… comme, par exemple, la Syrie, l’Egypte, le Liban, etc. Le cas de l’Hébreu et du japonais montrent des exemples de régénérescence assez intéressant… Quand aux langues qui disparaissent, il est facile de les observer aussi bien en Afrique qu’en Amérique Latine où quelques tribus autochtones, pour ne pas mourir, optent pour l’espagnol… Ar tufat, lehna tafat !

      • Tout à fait , les indigènes de Amérique latine ici en US ils parlent tous espagnol et se sont complètement assimilés avec les traditions occidental comme christianisme catholicisme , statut de la femme, emancipation, etc.
        Tanmirt i tririt’ik.

  2. vous ne pensez pas Mr. que le kabyle a besoin d’un signe diacritique afin d’eviter de doubler les lettre , c’est une caracteristique tres frequente chez les kabyles, au lieu de miner le textes avec des lettres double un peu partout il fallait peut etre essayer d’introduire ce signe afin de signifier le stress sur le phoneme .
    c’est juste une suggestion, je sais que la langue est á ses debuts, y a bocoup de chemin devant et encore je ne suis pas specialisé, mais je me souviens d’avoir fait quelques cours sans vraiment finir les etudes, en quittant prematurement la fac en 2me.

    tanemirt’ik a Da Yusef,
    Ad ak isaɣzef u gellid ameqran lɛemar’ik

    • Azul a Zakaria ! Vous avez raison !

      Vous touchez du doigt un côté linguistique très important pour la langue kabyle. C’est un sujet qui demande un peu plus de développement. Mais, je vais essayer de faire concis. Il faut effectivement un signe diacritique ou mieux encore, s’en tenir à la règle simple : « Un son égale un phonème ». Ce point est d’autant plus important lorsqu’on observe les géminées qui changent le sens des mots. Aussi, rendre le son ts par tt est une complication inutile. Un exemple tout simple : Imaginons que je veuille dire « Il a l’habitude d’oublier » ; si j’adopte ce redoublement de phonème, il faudra que j’écrive « Itettttu » (Il a l’habitude d’oublier). Nous nous retrouvons devant une quadrilatère ! Après cet exemple qui peut prêter à sourire, allons plus loin pour que l’on comprenne mieux le problème que vous soulevez : »Taxlalt » = allumette ; tasellalt (redoublement du /l/ nous donne = couverture) ; autres exemples : « Tisula » = traditions orales ; Tisulla = sainfoin (herbe que nous consommions dans les champs au printemps !) Tigura (nagh tiguriwin) = les phrases ou expressions et tiggura = « portes » (comme dans la vallée de la Soummam) Poussons encore plus loin jusqu’à tomber dans le ridicule : ezzel = « sperme » (redoublement du /z/) ; ezl = tendre la main vers quelque chose ou quelqu’un. Allons encore plus loin : « Eg » (faire) ; le redoublement du /g/ nous donne un tout autre sens que je vous épargne ! Nous voyons que le redoublement est encore plus « pernicieux » quand il est porteur de la polysynthèse ou de l’incorporation : caractéristique des langues autochtones et notamment du kabyle. Il me paraît très important que nous respections la langue orale qui nous fournit toutes les clés pour pouvoir écrire correctement en tamazight et notamment en kabyle. Pour cela, nous disposons de Tajerrumt de Mouloud Mammeri.
      Par conséquent, il est très important que nous revenions à la Grammaire berbère de Mouloud Mammeri.
      J’espère avoir été assez clair.

      Ar tufat, lehna tafat.

      • Tout à fait ce que je pensais, et même dans le clavier virtuel qui est disponible online on en a supprimé le t cédillé et le h pointillé en dessous, et lorsque j’ai interrogé quelqu’un sur un forum kabyle il me repond que c’est l’ircam et autres qui ont recommandé ce changement . c’est insensé pour ces pseudo-intellectuel qui ne font que detruire ce qui a été dejá construit notemment avec maammri et d’autres au lieu de perfectionner ce qu’ils ont laissé.
        Et une question me viens, moi qui n’a ni doctorat ni lisence j’ai deja compris ça sans que quiconque ne me le dise, juste une observation, comparaison, et une logique élementaire.Je n’ai fait que 2années d’anglais lmd en fac .
        que font ces soit disant savants en occupant des postes aussi importants, c’est un grand gâchis, j’était tout le temps accoeuré par ça car il s’agit d’une langue d’un peuple à developper .
        J’attend pas de reponse cette fois, j’ai juste voulu commenter.

        Tanemirt’ik tikelt niḍen

      • Azul a Zakaria,

        Je suis aussi catastrophé que vous ! S’agissant de l’IRCAM, ils font du bon travail, avec un grand MAIS : ils ont commencé par ECARTER le parler Rifain de leur synthèse de travail dès les débuts de la création de l’IRCAM ! Et chacun sait que le Rifain est le parler amazigh le plus proche du parler kabyle…

        L’IRCAM avait formé 15000 enseignants en tamazight ; Seuls 5000 ont aujourd’hui un emploi !!! Et même parmi ces 5000, il y en a sur qui le système araboislamique fait pression – sans réaction du roi ! – pour qu’ils quittent l’enseignement du tamazight et intègre celui de l’arabe !!!

        Je pense que derrière toutes ces « erreurs » pour ne pas dire autre chose, il y a un manque de concertation et un manque de maîtrise de la langue parlée. D’aucuns oublient que la langue, ce n’est pas l’écrit ; c’est d’abord l’oralité… Il y a beaucoup d’écrits concernant des langues mortes !

        Voilà ce que je peux dire pour le moment… Nous, nous restons dans l’héritage indéfectible de Dda Lmulud At Mâammer.

        Bonne continuation dans tes travaux et tes réflexions !

        Ar tufat, lehna tafat ! YA


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