Le message du chantre de la culture berbère
Mouloud Mammeri (1917-1986)
Sa réponse aux donneurs de leçons algériens après le printemps berbère de 1980 – Suite à l’interdiction de sa conférence sur la poésie kabyle ancienne.
« Vous me faites le chantre de la culture berbère et c’est vrai. Cette culture est la mienne, elle est aussi la vôtre. Elle est une composante des cultures de tous les pays où elle existe. Elle contribue à les enrichir, à les diversifier. Et à ce titre je tiens (comme vous devriez le faire avec moi) non seulement à la maintenir mais à la développer. »
Un extrait du livre « Poèmes kabyles anciens » qui nous permit de connaître le « Premier printemps berbère » (Tafsut Imazighen)
Au terme de cette partie de l’analyse, il apparaît donc que la littérature kabyle n’est, pas plus qu’une littérature plus élaborée, tributaire d’une explication fonctionnaliste qui en épuiserait toutes les résonances. Ce qui ressort au contraire, ce sont les homologies fondamentales. Si l’on met de côté la fonction très générale de toute littérature dans n’importe quel groupe social (une fonction justement trop générale pour qu’on pût la traiter avec un minimum de rigueur et de précision), force est de revenir à la société berbère elle-même et de tenter d’expliquer sa littérature de l’intérieur, tel que le groupe l’appréhende et la vit. Peut-être le point de vue des Kabyles sur leur propre littérature est-il au moins valable et éclairant que le regard extérieur qui, en tentant de la saisir, la désagrège. Peut-être, en prenant au mot les utilisateurs (et créateurs) de ces productions, y réintroduira-t-on un sens qui, sans cela, s’envole en fumée ou se rapetisse à un point tel que l’attachement quelquefois passionné qui leur a été porté pendant des siècles devient une aberration. Au vrai, c’est de langage qu’il faut changer.
Si l’on adopte cette perspective nouvelle, la première donnée qui d’abord s’impose est que la civilisation kabyle traditionnelle (et, à vrai dire, la civilisation berbère tout entière) était une civilisation du verbe. Non pas seulement parce que l’inexistence pratique de l’écrit hypertrophiait du même coup coût la valeur de la parole, mais par choix ou par vocation,. D’autres peuples se sont exprimés dans la pierre, la musique, le commerce ou les mythes. Ici, la parole a valeur imminente, voire despotique.
On cite des mots, une grande partie de la culture courante est faite de cela. Une seule phrase suffit parfois à résoudre une situation difficile. On se bat pour des mots. Dans les assemblées, la parole est maîtresse. Le proverbe dit : « Qui a l’éloquence à tout le monde à lui[1] ». Le maître du dire (bab n wawal) est souvent aussi le maître du pouvoir et de la décision (bab n rray). On peut payer d’un poème une dette. On peut donner à un beau geste la consécration d’un beau dit, et à vrai dire c’est usage courant et presque obligé.
Dans cette optique, la poésie apparaît comme le degré le plus éminent, le plus exalté (exaltant) d’une pratique par ailleurs commune. L’analyse du système ancien des valeurs que l’on va tenter d’établir maintenant va le montrer de façon concrète[2].
[1] Bu yiles medden akw ines. (La note est de Mouloud Mammeri).
[2] M. Mammeri, Poèmes kabyles anciens, op. cit. pp. 44-45.
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