Publié par : youcefallioui | avril 4, 2018

SOCIOLOGIE DE L’ALIENATION…

SOCIOLOGIE DE L’ALIENATION

DU DISCOURS DE L’ARBRE, DE L’ABEILLE ET DE L’OISEAU CHEZ LES ANCIENS KABYLES « C’EST DU MESSAGE DES ANCETRES QU’APPARAIT LE BIEN-ETRE ET LA BIEN-SEANCE » (SI TMEZRIT I D-TTBIN TALWIT)

 DU DISCOURS DE LA NATURE 

L’aigle a dit : « Etrange étranger ! Les pays des autres sont durs : s’ils ne te tuent ; ils te feront mille misères ! » (Yenna-yas ijider : « Ay awerdali n werdal ! Timura m_medden waârent : m’ur k-nnghint, a-k ssdaâfent ! »

 L’alouette a dit : « Ceux qui maltraitent un étranger ne connaissent rien du bonheur de la vie : leur cœur est sec, leurs enfants verront la vie sèche comme une épine. » (Tenna-yas tqubaât : Win yekkaten deg’werdali, lebghi-s ur iggwid sani : ul-nsen iqqur, dderya-nsen tesmuqqur).

 Le corbeau a dit : « Même si je suis noir, je clame le droit d’asile ! »  (Tenna-yas tgerfa : « Xas berrikegh, jjaaqegh af laânaya !)

 Le merle a dit : « L’homme devrait faire comme moi : je vais où je veux ; mais je respecte l’arbre où je fais mon nid » (Yenn-yas uzerkwetif : Amdan ad ig am nekki : anda bghigh yeggwi yifer ; mi hudregh aleccac anda bnigh lâac ! »

 L’alouette a dit : « Si le hibou chante la nuit : c’est dans le noir qu’il cherche la lumière ! » Tenna-yas tqubaât : « Ma yella bururu icennu deg id : di tlam i’gettnadi tafat !)

 L’abeille a dit à l’homme : « Protège-moi et je te protègerai !) « Tenna-yas tzizwit i wemdan : Ssegdel-iyi a-k ssgedled !)

 L’abeille a dit : « Dites-moi où est la fleur, je vous dirai mon bonheur ! » (Tenna-yas tzizwit : « Mmlewt-iyi amkan ujejjig, a-w nemmlegh zzhu g_ul-iw).

 L’abeille a dit : « Le jour où le miel ne sera plus bon, ce sera la fin du monde ! » (Tenna-yas tzizwit : Ass m’ara texser tament, a-ttenger ddunnit !)

 Le loriot a dit : « Homme qui connaît le sens de la vie, laisse-moi de quoi me nourrir dans ton champ ! » (Yenna-yas ucerreqraq : Ay amdan yessnen tudert, ejj-iyi kra di tigert !)

L’olivier a dit : « Tous ceux qui prennent soin de moi, verront leurs enfants naître au printemps ! » (Tenna-yas tzemmurt : Kra g_wid itelhan yid-i, di tefsut igren arrac ! »)

 Le frêne a dit : « Homme, fais bien attention à l’arbre, c’est de moi que tu as pris racine ![1] » (Tenna-yas teslent : Ay amdan hader aleccac, yak s’gi i tgid azar !)

 

DE L’HERMENEUTIQUE KABYLE

Cette habitude de faire parler l’abeille, les oiseaux, les insectes et les animaux en général ainsi que les végétaux et les éléments physiques comme le vent, l’arbre et la montagne permettaient aux anciens Kabyles de disposer d’une plus grande liberté. « Je parle par la voix de l’oiseau, donc je peux me permettre de tout dire : c’est l’oiseau ou l’arbre qui parle, ce n’est pas moi ! » Cette création littéraire dispose également d’un nom qui lui est propre en kabyle (tajanett). J’ai déjà expliqué le lien physiologique qui existait entre les anciens Kabyles et le monde physique, animal et végétal. Ce qui m’a toujours surpris, c’est d’apprendre bien des années après, à travers notamment les différentes recherches scientifiques, des thèses très proches de ce que j’avais appris de mes parents et des Anciens de ma confédération (arch). Cette science de l’interdépendance entre tous les êtres vivants qui existent sur la terre paraissait tellement évidente aux vieux Sages kabyles ! Ils n’avaient pas besoin d’appareils sophistiqués pour observer la nature. Ils pouvaient sans verbiage aucun dire et expliquer la relation qui existe entre la terre et l’homme, la fleur, l’insecte et l’oiseau. Une vision universelle qui permet de dépasser certains clivages.

Si le chardonneret est ainsi appelé en français à cause du chardon dont il se nourrit, la même relation sémantique existe en kabyle : le nom de l’oiseau « chardonneret » (abuneqqar) vient du « chardon » (aneqqar). On peut en dire autant par rapport à « l’homochromie[2] » ou à la « cline[3] » ou à d’autres aspects ornithologiques. Comme en français et dans d’autres langues, la variation du caractère morphologique déterminé, par exemple, par le milieu ambiant a entraîné le nom de certaines espèces d’oiseaux. Il en est ainsi des oiseaux du Bassin méditerranéen comme le loriot (acerreqraq), la fauvette grise (tiberdfelt), la bergeronnette (tabuzegrayezt), la huppe (tebbib) ou bien encore le râle des genêts (amenzezzu). Toutes ces correspondances séculaires « de nature écologique et culturelle » sont étonnantes car elles sont menées sur des territoires différents. Elle révèle, me semble-t-il, cette dimension universelle qui lie les humains, où qu’ils soient sur la terre, malgré les différences culturelles et linguistiques. 

« Quand il n’y aura plus d’abeilles sur terre, l’homme aura disparu depuis longtemps ! » On prête cette pensée à Albert Einstein. En faisant parler l’abeille dans les contes kabyles, les Anciens disaient : « Quand le miel ne sera plus bon, il n’y aura plus de vie sur la terre ! » On peut donc en déduire que « l’oppression de la nature » révèle et stigmatise l’oppression que font subir des hommes à d’autres hommes.

C’est ce côté universel de la pensée kabyle qui m’a toujours intéressé et que j’essaie, autant que faire se peut, de dévoiler tel que je l’ai reçu. L’alouette ou un autre oiseau n’est qu’un prétexte pour faire passer un message. Une pensée qui révèle une situation d’oppression interne, perverse et dangereuse car trop visible pour être vue, comme dans le cas de la tyrannie qui pèse sur les Berbères sur leur propre terre.

Cette tyrannie était « visible » tant qu’il s’agissait du colonialisme français. Mais depuis l’indépendance des pays africains, elle ne s’est pas arrêtée même si elle est devenue « invisible ». Des Africains continuent d’oppresser d’autres Africains d’une façon, parfois, beaucoup plus abominable !

Selon mon ami et maître feu Joseph Gabel[4],  « Cette invisibilité est d’une grande perversité, car elle recèle en elle les stigmates d’une forte aliénation qui conduit à la réification du peuple berbère. C’est le syndrome de l’iceberg ; ou si vous préférez le syndrome du Kabyle. » Et l’on comprend donc pourquoi beaucoup de récits et de mythes anciens stigmatisent la tyrannie des mots imposée par les modèles dominants occidental et arabo-oriental.

Dès lors, la question que se posait l’inconscient Kabyle est la suivante : « Comment dénoncer cette oppression interne qui paraît bien peu visible à l’œil extérieur ? »

Pour parler de cette situation d’oppression linguistique et d’oppression tout court subie par les Kabyles et les Berbères en général, les Anciens n’avaient rien trouvé de mieux, pour faire passer le message à travers de nombreux récits comme les contes et les mythes mais aussi les énigmes et les dictons, que de classer ces récits dans un chapitre qu’ils avaient appelé Les stigmatisantes[5] (tizeknatin). Ils réprouvent et condamnent beaucoup de situations où l’aliénation et l’oppression occupent le terrain de l’intelligence, du savoir et de l’amour[6].

 

 

 

 

Ouvrages à consulter de Youcef Allioui :

–          L’ogresse et l’abeille – Teryel  t-tzizwit, L’Harmattan, 2007.

–          L’oiseau de l’orage – Afrux ubandu, L’Harmattan, 2008.

–          La sagesse des oiseaux – Timsifag, L’Harmattan, 2008.

–          Sagesses de l’olivier – Timucuha n Tzemmurt, L’Harmattan, 2009.

–          Les chasseurs de lumière – Iseggaden n tafat, L’Harmattan, 2010.

[1] Croyance ancestrale kabyle : « L’homme descend du frêne : premier arbre de la création. » (Amdan ittwajna-d si teslent : aleccac amezwaru i d-ijna Ugellid Ameqqwran).

[2] De la même couleur que le milieu ambiant.

[3] Variation progressive d’un caractère morphologique suivant le milieu auquel l’oiseau a fini par s’adapter.

[4] Docteur en médecine, Joseph Gabel (1912-2004) était aussi un sociologue et un philosophe français d’origine hongroise. Penseur engagé, il est resté toute sa vie fidèle au marxisme tout en étant hostile au stalinisme et à la pensée de Louis Altusser. C’est sans doute le plus grand spécialiste de l’aliénation. Cf. La fausse conscience, Les éditions de Minuit, 1977.

[5] J’ai déjà donné une classification des différents récits dans la littérature orale kabyle. Cf. La langue et la mémoire, L’Harmattan, 2015.

[6] Y. Allioui, Sagesses de l’olivier – Timucuha n tzemmurt, L’Harmattan, 2009.

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Réponses

  1. azul a da Yusef,
    ésperant que vous vous portez bien, celá fait un bout de temps que je n’ai rien commenter sur votre blog qui procure tant d’informations et de bonheures sur notre identité berbere et notre personnalité.
    souvent on utilise « da » comme abreviatiin de « dadda ». ce titre de civilité qu’on utilise afin de d’introduire une personne respectée, ou generalement plus agée dans la societé kabyle. on appelle « Na, Nna » abreviation de « Nana, Nanna » á la personne plus agée femelle .
    ma remarque surgit apres la propagation des particules « mass, massa  » dans les ecrits, conferences données par des kabyles depuis un certain temps, sans se soucier de se referer á ce que les anciens nous ont transmis, en langue.
    on sait que les berbere utilisent dadda, nanna, lalla ou « La » comme abreviation, qui serait un titre de noblesse pendant les periode medievales dans les royaumes arabo- berberes, et sa consonnance reste fidel au autres deja mentionnés.
    penserions-nous á revoir ces titres afin de rester non loin de notre heritage qui serait en perdition, au lieu de recourir á de neologismes qui nuiraient á la langue.
    tanmirt a da Yusef, ar tikekt nidhen.


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