Dicton kabyle : « Celui qui s’incline devant l’injustice, Dieu l’accable davantage ! »
Anhis Imezwura : Win yeknan zdat lbatel, Irennu-yas Rebbi asadel[1].
Les Chasseurs de lumière
ou
Comment les anciens Kabyles enseignaient la démocratie aux enfants.
De mon père, Mohand Améziane Ouchivane Allioui (1897-1972).
(Cf. Ouvrage, Y. Allioui, Les chasseurs de lumière – Iseggaden n tafat, L’Harmattan, 2010 – Idir, « Les chasseurs de lumière », Blue Silver, Paris, 1993.)
1 – LES CHASSEURS DE LUMIERE – ISEGGADEN N TAFAT
Que mon conte soit beau !
Et se déroule comme un fil de laine
Que celui qui l’entend à jamais s’en souvienne !
Il était une fois à propos de la lumière !
Vous êtes heureux, soyez-le à jamais !
Celui qui la cherche, qu’elle vienne à lui !
1 – Il était une fois un pays, un pays de paix et de lumière. Un pays où les gens étaient heureux. Ils vivaient de la terre, des rivières et des forêts. Chacun était solidaire de l’autre. Riche ou vagabond démuni, l’étranger était toujours bien accueilli.
Il était donc une fois un pays, parmi les premiers pays de ce monde. Le pays allait bien et avait pour souci de bien faire les choses. Son peuple vivait dans la paix et le bien. Le roi régnait avec justice : il avait la main et l’esprit larges. Il pensait toujours au bien de son pays et de son peuple. La terre était travaillée, l’arbre était taillé, irrigué et greffé. L’eau des rivières était abondante et claire. Les sources et les points d’eau étaient bien aménagés et dans chaque fontaine coulait une eau douce et propre. La fleur s’invitait au printemps ; les abeilles butinaient à loisir et le miel avait le goût du fruit sacré. Et l’huile était semblable aux autres biens produits par le pays. Les animaux étaient bien traités. Les individus étaient respectés qu’ils fussent bergers ou templiers. Le pays du soleil était gorgé d’eau. Il avait la lumière, la paix et le bien-être.
Chaque individu, chaque homme, chaque femme, chaque enfant qu’il fût fille ou garçon, vivait dans le bonheur et le souci de bien servir son pays. Chacun écoutait les conseils de son roi, tout comme le roi écoutait son peuple. La démocratie avait cours, et le dictateur n’avait pas de place entre les gens. D’une cité à une autre, d’un village à un autre, la sagesse, le savoir et la paix occupaient toutes les places. Le pays avait le souci de ses enfants, comme eux-mêmes avaient le souci de leur pays. Les étrangers aimaient le pays de la lumière et de la paix. Le droit d’asile leur était accordé sans condition. Chaque cité et chaque village qu’ils pénétraient, les habitants les y accueillaient avec un visage souriant, le mot de bienvenue et le cœur ouvert. Le pays vivait depuis longtemps déjà dans la démocratie et le respect de chacun. Chaque habitant avait ses droits et ses devoirs. Chacun d’eux respectait son voisin.
Des années et des années furent ainsi ; le pays des savoirs vivait dans la lumière comme tous ses habitants. Ainsi furent les jours et les années, le pays s’éprit de l’importance des choses comme sa terre avait besoin d’eau. Il en était de même de ses arbres, de ses animaux et de ses oiseaux. Du plus grand au plus petit, la lumière et la paix rayonnaient sur tous les individus et tous les horizons, sur toutes les collines, sur toutes les vallées et sur toutes les montagnes. L’étranger qui entrait dans le pays de la démocratie trouvait un écriteau à l’entrée des cités : « Tu es en pays démocratique. Si tu apportes la paix, nous t’accueillerons en paix. Si tu apportes de l’orge, nous t’offrirons du blé. Si tu apportes du beurre, nous te ferons boire du miel. Si tu as fui l’injustice, nous te donnerons l’asile pour l’éternité. »
Ainsi se passaient les choses au pays que nos ancêtres appelaient « le pays de la démocratie, du droit d’asile et du bonheur. »
2 – Un jour parmi ceux que le Souverain Suprême n’aimait pas, le roi du pays mourut : « on lui avait attaché la mâchoire et les yeux. » Son fils, qui s’appelait Vousvouss, était trop jeune pour faire face aux charges du royaume. Parmi les conseillers du roi défunt, il y en avait un qui était peu recommandable. C’était lui qui commandait aux soldats du pays. Son projet était de régner sur le pays de la paix et de la démocratie. Dès qu’il prit le pouvoir, le pays était devenu triste. Il fut pénétré par la peur, le souci et l’angoisse. Les gens du peuple devaient se taire, mourir ou s’exiler. Le roi tyran entendait ainsi chasser ceux qui lui résistaient. Il oppressait et tyrannisait son peuple. Après la mort de sa femme – qui le tempérait de son vivant – il devint encore plus tyrannique. Le temps passa ainsi jusqu’au jour où il décida quelque chose d’inimaginable… Il imposa à son peuple de creuser des grottes à l’extérieur des cités et des villages. Quand les gens eurent fini de creuser les grottes, le roi ordonna la destruction de leurs maisons et il les obligea à habiter dans les grottes ainsi creusées comme s’ils étaient des animaux. Une idée folle surgit de sa pensée : les gens devaient vivre sans lumière dans les grottes et sans plus jamais voir le soleil ! Dans son édit, le roi tyran décréta : « La nuit pour le peuple et toutes les confédérations ; le soleil ne doit être vu que par le roi ! »
3 – Le pays de la lumière, qui est devenu le pays de la nuit, pleurait son roi défunt dont l’héritier, son jeune fils Vousvouss, était encore trop jeune pour régner. Vousvouss aimait son pays, le pays de son père. Il aimait toutes les choses qui se trouvaient sur la terre de son royaume, de l’oiseau au plus petit insecte. En grandissant, il prit de l’assurance et osa dire au roi tyran : « Ô roi tyran, je ne vois pas pourquoi tu prives le peuple du soleil ! Pourquoi tu les as enfermés dans des grottes sous terre ? C’est un acte qui me paraît injuste et arbitraire : serais-tu aux prises avec la folie ! »
En entendant les reproches du jeune prince, le roi tyran fut secoué par la colère. Il appela ses gardes et leur donna l’ordre suivant : « Jetez-le dans un puits jusqu’à ce que ses idées s’entendent avec les miennes ! » Ils prirent Vousvouss et le jetèrent dans un puits. Le roi tyran et dictateur le laissa ainsi pendant sept ans. Le jour où il décida de le faire sortir du puits, Vousvouss avait perdu la vue et il avait les cheveux blancs tel un vieillard !
Quand les gardes ramenèrent le jeune prince devant le roi tyran, ce dernier se soucia peu de son état et du mauvais traitement qu’il lui avait infligé ! Quand Vousvouss fut en face de lui, le roi tyran lui dit en criant et en se moquant : « Alors, tu es revenu dans le droit chemin ou non ? » Vousvouss lui répondit calmement : « Roi tyran, tu ne peux nous atteindre ! Roi tyran, tu ne peux comprendre l’importance de la lumière ! Il ne saurait y avoir de soleil sans l’ombre ni d’ombre sans le soleil ! Depuis toujours, la voie de mon pays a toujours été dans la lumière et la démocratie. Même si tu pardonnes, nous ne te pardonnerons jamais ! »
4 – Le roi tyran dit alors à sa garde : « Emmenez-le dans la montagne des vautours et des aigles ! » Les gardes prirent Vousvouss entre eux et le menèrent dans la montagne des vautours et des aigles. Le lieu était désert, sablonneux et venteux. Un soleil brûlant faisait craquer la terre. Les gardes du roi le lâchèrent et l’abandonnèrent là à son sort. Vousvouss chercha où s’abriter. Il finit par trouver une petite grotte. Le lendemain matin, quand il sortit de son trou, des vautours l’entourèrent pour le dévorer. Le plus vieux d’entre eux regarda le jeune garçon et dit à ses compagnons : « Il a perdu la vue, il a toutes les peines du monde : sa chair est interdite à notre peuple ; ce garçon est pur : nous, nous ne mangeons que la charogne ! » Ils le laissèrent là tout seul, ils battirent de l’aile et s’envolèrent dans les airs. Les aigles arrivèrent à leur tour. Ils se posèrent près de Vousvouss. Le plus grand d’entre eux l’examina et dit à ses compagnons : « Il a perdu la vue, il a toutes les peines du monde : sa chair est interdite à notre peuple ; ce garçon est pur : nous, nous ne mangeons que la charogne ! »
Vousvouss vécut ainsi pendant plusieurs années. Quelquefois, il trouvait quelque chose à manger ou à boire ; mais souvent, il restait ainsi face aux affres de la faim et de la soif. Il demeura au même endroit des jours et des années. Parfois la mort l’entourait, mais il revenait à la vie et l’on ne saurait dire d’où et comment.
5 – Un jour parmi les jours du Souverain Suprême, un lion sauvage passa près de la grotte où Vousvouss restait caché. Il leva le nez en l’air et dit : « Si la vue t’a abandonné, tu as ma protection ; si tu es meurtri par la vie, ta chair m’est interdite. Parle ! Dis-moi qui tu es ! »
Vousvouss lui répondit de l’intérieur de sa cachette : « Je suis un homme ; je ne vois plus et la vie m’a meurtri. C’est pour la lumière que nous avons perdu la vue ! »
Le lion sauvage lui dit : « Sors de ton trou. Puisque tu as perdu la vue en cherchant la lumière, je t’emmènerai au jardin des lumières. Quand Vousvouss sortit de la grotte, le lion fut abasourdi par ce qu’il voyait : un adolescent qui ressemblait à un vieillard ! Le lion dit à Vousvouss : « Je t’ai donné ma protection, comme l’accordait ton père de son vivant ! Monte sur le dos du lion et cesse d’avoir peur ! » Il mit Vousvouss sur son dos et partit. Il marcha, il marcha, il marcha longtemps ; quand il franchissait une colline, une autre apparaissait. Et ainsi jusqu’au jour où ils parvinrent au jardin des lumières. Le lion entra dans un château construit en verre des fondations jusqu’au toit. Il entra par la première porte et une autre s’ouvrit devant lui, et ainsi de suite jusqu’à la sixième qui s’ouvrit aussi. Lorsqu’une septième porte s’ouvrit devant eux, ils entrèrent enfin dans le jardin des lumières. Vousvouss entendit alors le bruit de l’eau qui coulait et le chant des oiseaux. Il demanda alors au lion qui venait de le sauver : « C’est comme si le parfum des fleurs de paix est venu à mes narines ! »
Le lion sauvage lui répondit : « Ce sont ces fleurs qui te rendront la vue ! » Quand Vousvouss descendit du dos du lion et qu’il s’approche de la fontaine pour boire, il entendit une autre voix lui dire : « Bois-en une gorgée, la seconde tu la passes sur tes yeux. Après avoir bu une première gorgée, il aspergea son œil droit. Il reprit une seconde gorgée d’eau avant d’asperger son œil gauche. Il entendit alors la même voix qui lui dit : « Maintenant tu peux ouvrir les yeux, la nuit s’en est allée. C’est la lumière du soleil qu’il te faut ! »
6 – Vousvouss ouvrit les yeux, regarda devant lui, derrière lui et ne vit personne. Alors il dit tout haut : « Ô Souverain Suprême, je suis venu du pays de la nuit et de l’injustice et je tombe dans le jardin des lumières qui ressemble à ce qu’était autrefois le pays de mon père ! »
Alors seulement il vit devant lui un « Sage-Protecteur » avec une longue barbe qui lui descendait jusqu’à la poitrine ; ses longs cheveux blancs descendaient sur ses épaules ; de son ombre jaillissait une lumière apaisante. Il s’adressa à Vousvouss : « Quel est donc le grand malheur qui te frappe, ô mon fils ! Qui donc t’a réduit ainsi ? »
Vousvouss lui répondit : « Ma meurtrissure c’est mon pays. Mon père s’en est allé comme le soleil qui se couche. Aujourd’hui, un dictateur a transformé le pays de mon père et de mon grand-père en pays de la nuit noire, et l’oiseau n’ose même plus s’y poser ! Mon père disait : « Le soleil doit être partagé par tout le monde !« »
Le Sage-Protecteur prit un aiguillon étoilé et le lança au loin dans les airs. Au bout d’un court instant, surgirent dans le ciel les chasseurs de lumière qui habitaient au-delà des montagnes. Chacun d’eux chevauchait un cheval d’éclair et de lumière. Ils avaient tous des cheveux longs qui leur descendaient jusqu’aux épaules tels des lions ; et chacun d’eux portait à sa ceinture une épée d’où jaillissait une étrange lumière. Quand ils arrivèrent devant le Sage-Protecteur, leur chef descendit de cheval et dit au Seigneur de la lumière : « Nous voici à tes ordres, Seigneur-Protecteur ! Quel est le pays de la nuit qui souhaite retrouver la lumière ? »
Le Seigneur de la lumière lui dit : « Vous entrerez dans le pays du tyran qui a transformé le pays de la lumière en pays de la nuit noire où les gens vivent dans des grottes ; en chaque coin du pays, vous y laisserez la lumière et vous enlèverez la nuit et l’obscurité ! N’épargnez pas les soldats qui vous attaqueront, mais prenez garde au peuple qui vit dans les grottes et sans soleil ! »
7- Ils prirent Vousvouss avec eux et s’envolèrent dans un éclair vers le pays des lumières devenu le pays de la nuit. Quand ils entrèrent dans le pays, le roi tyrannique envoya toutes ses armées contre les chasseurs de lumière. Une grande bataille s’engagea. Les chasseurs de lumière anéantirent à coups d’éclair et de foudre tous les soldats qui leur opposèrent une résistance. Ils enlevèrent toute l’obscurité à coups d’éclair foudroyant. Il ne restait que le roi tyran dans le château. Ce dernier regarda par la fenêtre et vit le soleil qui éclairait de nouveau le pays. Les gens couraient les chemins. Les garçons et les filles criaient de joie. Les femmes poussaient des youyous pour saluer les chasseurs de lumière. Vousvouss descendit du ciel et courut vers les enfants et les jeunes de son âge. Les gens l’entourèrent comme s’il était le roi du pays. Au pays de la justice rejaillissait la lumière de tous les côtés.
Pris de panique, le roi tyran quitta le château et s’enfuit droit devant lui. Il finit par se retrouver dans les montagnes des vautours et des aigles. Cette montagne où ses gardes avaient abandonné Vousvouss seul jusqu’à ce qu’il devînt aveugle et presque mourant.
Quand les vautours le virent, ils s’élancèrent vers lui. Et le plus vieux d’entre eux leur dit : « Avant de le dévorer, nous lui enlèverons d’abord les yeux, afin qu’il connaisse l’importance de la lumière. La charogne se voit, sa chair revient aux vautours ! »
Avant de reprendre le chemin du retour, le chef des chasseurs de lumière dit au prince Vousvouss : « Celui qui cherche la lumière finit toujours par la trouver. Nous te léguons le sceptre de la lumière ; ton règne sera celui de la paix et de la quiétude. » Ils s’envolèrent et reprirent le chemin de leur pays, le pays d’au-delà les montagnes.
Le poète de la cité dit alors aux gens qui l’entouraient : « Pour le peuple qui connut sept guerres. Chaque cavalier s’arma de son sabre. Ensemble ils cherchèrent la lumière. Ils passèrent les montagnes pour aller de l’autre côté ! »
Vousvouss entra dans le château de son père. Les conseillers du roi défunt l’entourèrent et s’inclinèrent devant lui. Le plus vieux conseiller de son père lui dit : « Seigneur de la lumière, dis-nous comment recouvrer la félicité ? » Vousvouss lui dit alors : « Le pays de la lumière retournera vers la lumière ! Chaque maison sera reconstruite ! Chaque terre sera irriguée ! Chaque arbre retrouvera ses bourgeons ! Les sources jailliront ! Les rivières couleront ! De génération en génération, de la montagne à la vallée, d’horizon en horizon, la lumière et la paix reviendront ! Ainsi me l’avait appris mon père, ainsi nous l’avaient appris nos ancêtres ! »
J’ai appelé au-delà des montagnes
L’écho m’est venu de la vallée
Pour me dire qu’un pays qui sème le bien
La lumière viendra des cavaliers !
Que mon conte vous rende heureux !
Je l’ai dit la nuit, la lumière va le démêler
Je l’ai conté au jeune noble, le rocher a ri et pleuré
Je l’ai conté au clair de lune, le vent l’a vite emporté !
[1] Asadel : Bâtonnet qu’on place en travers de la bouche d’un agneau ou d’un chevreau pour l’empêcher de se nourrir au lait de sa mère. Tasadelt est la cheville qui retient l’ensouple du métier à tisser. Dicton : « Le sagace réfléchit ; le sot gesticule ! » (Lfahem ittmeyyiz, ungil ittneggiz !)
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