PROLOGUE
Pour madame Véronique Jacquier
« Presque toutes les villes de l’Algérie, dit le général Daumas, semblent avoir été bâties sous l’emprise de la crainte. Vainement eût-on cherché, ajoute-t-il, dans un vaste rayon autour d’elles, une position plus retirée, plus inaccessible, plus inexpugnable que celle de Kuêlaa ; sous ce rapport, cette ville passe, à bon droit, pour une merveille ».
Avertissement au prologue
Je voulais citer ce général qui s’extasiait devant les villes « impériales » algériennes avant la colonisation. Il ne faisait que se pâmer ; car, bon nombre de ces merveilles, comme il disait, avaient été réduites en ruines par lui et d’autres généraux français qui commandaient l’armée coloniale. Le lecteur s’étonnera sans doute de cette citation qui pouvait avoir sa place ailleurs.
Pour quoi alors déroger à de telles règles dont je me fais l’avocat au risque de paraître comme celui qui ne comprend rien à l’histoire et qui se permet, quand même, de ne pas toujours donner la primauté à une certaine historiographie de façade que le grand Charles André Julien avait déjà condamnée. Que le lecteur soit rassuré, je ne prétends pas être un historien. Du moins, telle que la doxa le souhaiterait, le voudrait. J’écris pour les miens. Pourquoi ? En parcourant quelques ouvrages d’histoire sur les Berbères ou plus exactement les Imazighen, je suis tombé sur tellement de mensonges et de contre-vérités que je m’étais assigné comme mission de mettre en avant une autre façon de voir les miens. C’est d’ailleurs pour cela que je prends de me pencher vers eux pour tout ce qui concerne notre Histoire. Car, ces derniers se sont toujours plaints d’avoir été ignorés par ceux et celles qui écrivaient sur eux, sur nous.
Ce n’est que lorsque les miens s’empareront de leur Histoire que le peuple berbère – je veux dire Amazigh – pourra se permettre d’ouvrir une fenêtre, aussi petite soit-elle, sur leur passé. Ce passé qui peut leur montrer tous les massacres dont ils firent l’objet et tous les sacrifices qu’ils firent pour combattre et se défendre afin que leur nom puisse demeurer face aux siècles à venir.
J’ai voulu cité ce général français, qui avait détruit tant de merveilles algériennes, pour répondre à ceux et celles qui osent encore déclarer comme une certaine Véronique Jacquier, journaliste politique que : « l’Algérie n’était rien du tout », avant la colonisation française qui a été une chance pour l’Algérie[1] ».
Nous étions plutôt habitués à ce genre de frasques de la part d’un certain « Petit homme[2] » qui s’appelle Zemmour. Venant d’une femme, à l’heure où les femmes du monde essaient de construire quelque chose contre tous les méfaits et les ravages qu’elles ont subis et continuent de subir de la part des hommes, nous restons sans voix !
Manifestement, cette chroniqueuse politique – qui ne comprend rien à l’histoire – ignore également tout de la piraterie dont elle devrait lire quelques ouvrages sur les usages des pirates, que j’oserai appeler, « français » ; usages qui lui donneraient froid dans le dos.
Pour madame Jacquier, les massacres n’étaient perpétrés que par les musulmans ; enfin, les « barbaresques » ! L’on se demande encore aujourd’hui ce que ce mot contient ! Il est vrai qu’à l’époque déjà, les historiens français, s’alignant sur la langue arabe, ne disaient pas « Berbérie » mais, Barbarie. Et l’on est de ne pas se douter de la supercherie. Le barbare, c’est toujours l’autre, quand bien même l’on viendrait à le massacrer lui et les siens avec d’abominables procédés, comme les enfumades qui ont fait périr tant d’Algériens comme la tribu berbère des Zaatcha.
Le lecteur comprendra donc pourquoi le modeste auteur de ces lignes mettaient l’accent sur le génocide perpétré sur la population algérienne lors de la conquête française. Ce que le président Emmanuel Macron avait qualifié, à juste titre, de « crime contre l’humanité ». A ce propos, madame Jacquier et monsieur Zemmour osent parler de « flagellation » !
Si, l’espace d’un instant, madame Jacquier pouvait parcourir – ce qui est d’ailleurs fort imaginable – quelques récits d’officiers français sur les viols et les mutilations perpétrés sur les femmes et les enfants, elle ferait, peut-être, amende honorable en disant qu’elle avait tenu des propos qui dépassaient sa pensée. Car, comme disaient les femmes kabyles ; ce que l’on peut admettre des excès de l’homme, ne peut être accepté d’une femme… A moins que madame Jacquier ait perdu toute essence de féminité ! Ce que je crains fort ! Et, ma pauvre grand-mère, qui n’est plus de ce monde, et qui n’était pas du tout « journaliste politique », aurait dit : « Pauvre femme, elle est plus à plaindre qu’à condamner ! » Car, pour nos grands-mères, une femme ne devrait en aucun cas se galvauder en se répandant en propos que « seul un homme est capable de braire ; quand il devient un âne et qu’il paisse de l’herbe dans les près en chiant là où il mange ! »
Rejoignant monsieur Zemmour sur l’histoire de l’Algérie, elle n’a pas manqué, comme l’on pouvait s’y attendre, de mettre l’accent sur « la construction des hôpitaux et des écoles« , etc. Ils oublient de préciser que ce fut d’abord pour les besoins de l’armée et des colons !
Ces deux acolytes oublient de préciser que « l’œuvre française » fut d’abord érigée en massacres de femmes, d’enfants et de vieillards avant que l’Algérien ait pu voir se dresser un quelconque hôpital. En effet, il fallait attendre près de 30 ans pour voir apparaître un lieu de soin digne de ce nom ; lequel lieu était d’abord réservé aux Européens.
Faut-il rappeler que des centaines de milliers d’enfants, de femmes et des vieillards – qui avaient échappé aux massacres – étaient morts de faim et par manque de soins ?
Par conséquent – sans aller jusqu’à lui proposer de se pencher sur les historiens qui ont relaté la façon dont s’était faite la conquête de l’Algérie -, tout un chacun ne manquera pas d’admirer son ignorance et surtout sa mauvaise foi à travers des raccourcis empruntés à un certain Zemmour, écourtés désolants et sans consistance.
Il est tout aussi salutaire de lui apprendre que la conquête de l’Algérie n’a jamais eu pour cause « la piraterie barbaresque » qui n’avait plus cours depuis 1819 ! Pour sa gouverne,, nous ne citerons ici que quelques lignes de Louis Garneray, « historien de la piraterie » ; « mode de vie de l’époque » que cette dame avait mise en avant.
Citons donc Garneray :
« Nos caronades, bourrées de mitraille juqu’à la gueule, et cent espingoles contenant chacune six balles, inondent d’une pluie de fer et de plomb l’équipage du navire arabe à découvert, et couvrent son pont d’un monceau de cadavres ! » Une page plus loin : « Transborder nos prisonniers arabes sur quelques caboteurs de la côte qui n’osèrent nous refuser de se charger d’eux… Sans qu’aucun incident n’entravât cette opération en ayant soin de les enregistrer et de les inscrire au fur et à mesure qu’on les apportait, l’or, l’argent, les pierreries et les objets précieux…[3] ».
Plus parlant est ce poème, parmi d’autres fort nombreux, d’une maman kabyle, à qui les pirates « français », avaient enlevé ses petites filles, alors qu’elle était au champ comme toutes ses congénères :
Les vagues de la mort
Ils sont montés des vagues de la mort
Nous ne pouvions nous l’imaginer
Mes filles des entrailles dormaient dans leur lit
Ils envahirent nos maisons en bois
Ils y mirent le feu à toutes nos joies
Quand nous les entendîmes pleurer sans voix !
Nous avions enlevé nos mocassins et couru après
Quand nous avions entendu leurs cris
Nous trouvâmes les maisons vides
Nous les avions poursuivis le feu en nous
Chacune de nous ne savaient plus que faire
Les Roumis ont fait de nous des trépassées !
D’où vient donc cette espèce de dégénérés ?
Quelles sont les femmes qui leur ont donnés la vie ?
Ces hommes ne sont pas des humains !
A quand reviendra le sommeil ?
Notre blessure sera à jamais en nous !
En perdant nos filles chéries, le Roumi a fait de nous des suppliciées !
Lemwaji l_lmut
Ulin-d si lmujat n lmut
Ur nezri ma d-assaût
Yessi n tâabbut di dduh
Kecmen s-ixxamen n lluh
Serghen di lfuruh
Mi nesla i ymettawen !
Nekkes arkas ul ihundeq
Mi nesla i lmenteq
Mi newwed axxam d-ilem
¨Nerfed lâayad s_ilizeq
Yalta deg’ntegh s-anda tehmeq
Irumyen rran-agh d-iclem !
Ansa d-tekka naqqa t-tmes
Anita t-yurwen tebges
Wigi maççi d-imdanen !
Melm’ara d yughal yides
Lmerta wergin tekkes
Af yessent-egh aâzizen, Arumi deg’negh yebden !
Revenons à sa phrase absurde de détraquée : « L’Algérie n’était rien du tout ! » S’il y était, madame Jacquier aurait vu les merveilles cachées d’une Algérie qui vivait en paix avec ses tribus et ses confédérations. Elle aurait également admiré Bougie (Bgayet) l’une des merveilles que Napoléon III préférait connaître lors de sa venue en Algérie en 1865. Elle aurait vu que c’était l’un des lieux scientifiques le plus rayonnant à travers le monde ! Les historiens allemands qui l’avaient visitée, bien avant que les sbires admirés par madame Jacquier n’aient débarqués pour la détruire, l’avaient surnommée la Perle de l’Afrique du Nord !
Par conséquent, ce que révèle la fameuse phrase du général français, c’est que l’Algérie était un pays parsemé de merveilles et de richesses. Sans cela, la France coloniale se serait-elle intéressée à un pays où il n’y avait rien à prendre et à apprendre ? J’en doute fort que Napoléon III et les Français de l’époque se seraient intéressés à une « Algérie de rien du tout ! » Les blés des hauts plateaux algériens et de l’immense plaine de la Mitidja – dont raffoleront les colons – n’étaient pas les seuls à être connus comme « grenier à blé », dont l’Algérie portait le qualificatif dès l’époque romaine. Dès leur arrivée en Kabylie, sous la houlette du colonel St Arnaud – que Victor Hugo avait surnommé « le chacal », les mines de la vallée de la Soummam ainsi que celles de l’Ouest d’Algérie furent aussitôt reprises par les forces coloniales. Mais, ces trésors n’étaient rien, du moins au début de la conquête, aux yeux de Charles X !
Par conséquent, le clou ou le sommet de l’histoire de la conquête française de l’Algérie se trouvait déjà dans cette immense richesse qu’elle convoitait et qu’elle arrachera à la dite « Régence d’Alger ». Précisons tout de suite que la capitale actuelle de l’Algérie était en majorité peuplée de Kabyles. D’autres diront qu’il y avait aussi des « Maures ».
Mais, les « Maures » étaient aussi une population berbère qui participaient à la production des richesses de la capitale que les Kabyles appelaient – sans doute pour rappeler quelques pages, non écrites, de l’histoire algérienne – « L’antre du lion » (Lezda-Yer), ce qui donna en arabe algérien Zzayer et en arabe classique El-Djazaïr. Comme chacun sait ou devrait le savoir, cette ville berbère à la Casbah magnifique occupée par les Kabyles après une convention avec la Régence et le Dey Hussein.
La cause de la conquête : le trésor d’Alger
Il n’échappera à personne que l’on n’envahit pas un pays « qui n’est rien du tout ». Et pour cause ! Au-delà de toutes les richesses que l’Algérie possédait, les Français visaient aussi le trésor caché dans les souterrains construits par le Dey d’Alger, Hussein. Ce dernier, excédé par les manigances de Pierre Duval, consul français, finit par lui administrer un « soufflet » à l’aide de son éventail. Anecdote qui entrera dans l’histoire comme « Le coup d’éventail ».
Mais, ce que les histoires constatent est fort étrange. Le coup d’éventail se serait passé en 1827. Et l’expédition qui allait générer la conquête de l’Algérie par la France n’eut lieu que trois après ! Néanmoins, comme toutes les excuses sont bonnes quand il s’agit d’envahir un pays autre, la fameuse expédition était présentée aux Français comme une « simple réaction » à l’insulte qui fut faite à leur consul !
Mais, avant de revenir sur ce coup d’éventail qui permit à la France de l’utiliser bien des années pour s’emparer d’un immense trésor, posons-nous la question : l’Algérie existait-elle, comme le « prétendaient » les anciens Kabyles ? Où n’était-elle qu’un pays occupé par les Turcs ? Bien avant la conquête, beaucoup d’historiens s’étaient intéressés à l’Algérie. Il est utile de répéter que ce pays merveilleux, remplis de mille et une richesses, comptaient déjà près de quatre millions d’habitants qui vivaient en bonne intelligence. Des échanges entre les différentes régions étaient courants et bien établis. Ainsi, tous les anciens Kabyles parlaient de ces échanges et notamment de l’huile d’olive contre le blé des grandes plaines et des hauts plateaux algériens. « Ce pays des lumières » n’était pas totalement sous domination turcque, comme certains historiens l’avaient écrit. Ces derniers ne parlaient que de « Régence d’Alger »
[1] Déclaration à Cnews le 16 juillet 2020.
[2] Titre d’un ouvrage magnifique et ô combien éclairant de Wilhelm Reich, sur le genre raciste. Reste doncplus aux penseurs encore vivants qu’à écrire un autre ouvrage qui porterait le titre de « Petite femme », pour mettre en exergue toute la bêtise, la stupidité et l’ignorance d’une certaine Véronique Jacquier qui chasse sur le terrain favori de l’extrême droite !
[3] Louis Garneray, Corsaire de la République, Petit Bibliothèque Payot, 1991, pp. 262-263.
Ps : Que les lecteurs me pardonnent pour les coquilles. Cet article a été écrit sous le coup de l’indignation ! Mais, dans l’ensemble, il est lisible et les idées développées sont à la portée de tous !
J ai lu attentivement votre réponse . Il était nécessaire de remettre les choses en place.
Dans la conjoncture actuelle très difficile , lnotre pays Algérie , qui doit relever beaucoup de défis à la fois , doit être valorisée et son histoire réhabilitée.
Merci Youcef pour toutes ces précisions. et ces arguments. qui feront réfléchir plus d un .
Zohra .
By: CHERIEF Zohra on juillet 26, 2020
at 9:11