Publié par : youcefallioui | mars 14, 2022

LA GUERRE D’ALGERIE ? Ne croyez pas !

LA GUERRE D’ALGERIE ? NE CROYEZ PAS !

Juste « une certaine politique berbère de la France ! »

REFUGIES

Lexis de la langue française : « Réfugié, personne qui a quitté sa maison ou son pays à cause d’une invasion. »

Ma mère, les yeux secs, mais pleurant en dedans : « Jamais je n’aurai cru que des humains seraient capables de tant de tueries et autant de destructions ! Ton père avait travaillé 25 ans au fond des mines françaises pour pouvoir construire notre maison… ». (Weroin bac ad amne$ belli llan imdanen i’gzemren ad n$en akken wad sdermen sennig wakken !)

TAZROUTZ

En quittant notre village, qui allait être détruit, pour celui de mes oncles, TAZROUTZ, nous ne croyions pas alors que l’armée coloniale allait détruire notre village et surtout pas notre grande et magnifique maison ! Longtemps après sa destruction, je croyais qu’elle allait redevenir comme elle était. Ce n’était qu’une question de temps… J’étais sans doute à la fois trop jeune mais aussi trop naïf pour croire tout ce qui se passait dans les contes de nos grands-mères où les maisons détruites et les arbres brûlés tout comme les héros – qui se sacrifiaient pour les leurs – allaient redevenir comme avant et, pour les héros, revenir à la vie. Car selon nos croyances, quelqu’un qui se sacrifiait pour les siens et son pays ne mourrait jamais !

Malgré ces jours d’enfer, mon père gardait un calme étrange… apaisant. Il était plongé presque toujours dans une humeur égale et rien ne lui enlevait son sourire et l’éclat de ses beaux yeux bleus. Il n’oubliait jamais de nous dire « des mots doux », de nous sourire, de nous prendre la main pour nous rassurer… Ce n’est rien les enfants ! Tout redeviendra comme avant ! N’ayez crainte !

 Quand nous pleurions de peur et de désarroi, il disait ces mots auxquels nous croyions ; des mots doux et si forts ! Des mots à la mesure de la catastrophe qui nous tombait dessus ! « Ne pleurez pas… Un jour, nous reconstruirons notre maison et elle sera encore plus belle ! » Comme si le pire était encore à venir ! Quelques semaines passèrent. Des journées qui avaient permis les moissons et la cueillette des figues sous le contrôle des soldats français.

Nous pensions que nous allions rester là jusqu’au jour où, selon les paroles de mon père, nous allions redescendre vers notre village et reconstruire notre maison comme le feraient tous les parents et voisins d’Ibouziden[1]. Pendant notre séjour à Tazroutz, mon père en profitait aussi pour demander de l’aide à ses amis qui habitaient Ighzer Amokrane pour que nous puissions descendre dans la vallée dans notre vieille maison. Chaque jour qui passait, nous attendions que le miracle se produisit ! En attendant, nous étions en paix. Et c’était l’essentiel. Les militaires ne faisaient plus d’incursions en pleine nuit pour nous réveiller en nous criant dessus et en brutalisant mon père. Tous les mouvements des villageois étaient surveillés et contrôlaient. Tout allait bien. Nous étions en été et nous avions beaucoup de travail aux champs.

Mes parents profitaient du calme de ces journées pour procéder aux moissons et au battage des orges et des blés. Enfants, nous y participions aussi activement que nos petits bras et nos petites jambes pouvaient le faire ! Il fallait constituer des réserves. Chacun de nous savait que ce n’était que des journées exceptionnelles – dont le calme était inhabituel – dont il fallait jouir au maximum. Comme si chacun de nous sentait que nous n’allions pas profiter encore bien longtemps de ces instants de paix fragiles et compliqués. Les journées étaient courtes et nous aidions nos parents comme nous pouvions pour amasser le plus de céréales possibles.

Mais, « cette vie normale à Tazroutz » allait aussi prendre fin un matin… Un matin où les portes explosèrent de nouveau ; un matin où les chiens et les soldats nous aboyaient dessus. Armés de leurs rangers, les soldats cassaient tout ce qu’ils avaient à portée de main ! « La guerre d’Algérie, disait ma pauvre mère, est sans aucun doute la guerre où des soldats avaient brisé autant de vies que d’ustensiles de cuisine ! » 

Cela aurait prêté à rire si les pauvres mamans kabyles se voyaient démunies de tout : de leur métier à tisser était cassé ainsi que tous leurs ustensiles de cuisine qu’elles avaient fabriqués elles-mêmes à partir de la terre cuite ! Quand les soldats tapaient dedans à coups de leurs grosses chaussures – les rangers – elles assistaient « au massacre des ustensiles – sans mot dire. Seules les larmes silencieuses pouvaient signifier la douleur qu’elles éprouvaient à la vue de tels massacres qui se répétaient de jour en jour !

Mais, des larmes, nos pauvres grands-mères et nos pauvres mères finiront par ne plus en avoir pour apaiser leur peur et leur douleur devant tant de sauvagerie ! Il y avait pire, bien pire : la mort d’un ou plusieurs êtres chers ; des maris, des fils, des frères, des neveux et des proches dont la vie et le corps étaient fracassés et qui partaient en éclats comme ces pauvres ustensiles qui avaient perdu leur couleur, comme pour donner une meilleure saveur à tous ces plats préparés et cuisinés au feu de bois et dont la saveur en disait long sur une civilisation qui allait disparaître. Ce qui faisait dire à ma pauvre tante Wnissa : « Le goût d’avant a disparu depuis que nous avions mis nos hommes et nos enfants en terre ! »

Le harki… Ne croyez pas !

Un matin de Tazroutz qui ressemblait à celui de notre village, Ibouziden… Ce matin-là, nous revîmes le scénario que celui que nous avions déjà vécu : intrusion matinale des soldats ; des cris, des aboiements et des coups ! Nous fûmes rassemblés sur la place au-dessus du village. Et là, l’officier français nous apprit la terrible nouvelle : le fils du Caïd (Sadek Meziane) venait d’être assassiné par celui-là même qu’il avait élevé ! Sadek Meziane s’était porté garant pour que l’on arrête la destruction des villages de mon arch. Avec son assassinat, c’était la destruction totale de tous les villages qui a aussitôt été programmée par l’armée française ! Tout bascula encore dans un flot d’horreurs et de tristesse…  Mon père qui aimait rire ne riait plus. Ma mère qui aimait chanter ne chantait plus… même les oiseaux ne chantaient plus et ne volaient plus…  Le ciel et les forêts étaient déchirés par les avions qui larguaient leurs bombes et leur napalm sur les champs d’oliviers et les villages désertés.

Il restait quelques rares soirées où ma mère osait encore nous dire un conte ou deux… « Pour que vous oubliez, l’espace de quelques moments, les horreurs de la guerre » disait mon père, bien des années après.

Notre montagne, le Djurdjura oriental ou « Djurdjura de la Soummam » (Oeôoeô n Welma Asemmam), nos villages et nos terres étaient devenus « zone interdite » … Ce qui faisait dire à mon père d’un ton songeur et néanmoins triste : « En nous installant dans cette vallée, nos ancêtres savaient très bien qu’elle deviendrait acide. Ils savaient que nous aurions à nous battre contre les envahisseurs, comme l’ont déjà fait nos ancêtres depuis la nuit des temps ! »

Nous étions démunis de tout, même du simple bonheur de vivre… Plus de chants, plus de jeux, plus de contes merveilleux aux formules magiques et rassurantes… N’envahissait nos rêves, je veux dire nos cauchemars, que cette terrible ogresse… Plus de formules où il était question de joie et de lumière… Plus de formules qui faisaient rire le vent, la montagne et la nuit… Plus de formules près du kanoune, le foyer enchanteur où crépitait un feu rassurant et bienfaisant, témoin d’un bonheur fragile… qui venait de la nuit des temps ; du temps où nos grands-mères et nos mères disaient : « Il était une fois ! » (A_macahu !)

Il était une fois… Il était une fois la guerre et ses horreurs. Nous savions d’où nous venions, mais nous ne savions plus où aller. Nous venions d’un paradis qui nous était désormais interdit… Nous étions des étrangers sur notre propre terre… Nous devions quitter Tazroutz pour un autre village ; un village « étranger » à « la nation des Awzellaguen » (Lâarc n w’Awzellagen).

IGHIL WEMSED – Le village où les enfants refusaient de jouer avec nous…

Mon père demanda asile à une famille de sa connaissance dans le village Ighil Wemsed de l’arch des Illoulène – ou-Sameur. Mais, comment oublier cette petite maison, d’une seule pièce, traversée en son milieu par une rigole d’égouts à ciel ouvert ?! Nous étions aussi choqués que le jour où nous fumes chassés de notre village ! Nous avions compris que nous n’étions pas les bienvenus ! Cette nuit-là, nous avions dormi dehors… Blottis les uns contre les autres. Mais, il faut être juste : le chef du village (Mezwer), qui s’appelait Amar Iâichouchène, était un homme bon. Dès le lendemain, mon père se plaignit auprès de lui. Nous eûmes droit alors à une chambre dans sa vaste maison dont tous les chambres étaient au rez-de-chaussée et donnaient sur une grande cour. J’ai également gardé en mémoire la gentillesse des jeunes filles et des femmes ainsi que la douceur du verbe de ces hommes dont nous nous sommes rapprochés bien malgré nous, à cause de la guerre…  

Un village où nous nous sentirons vraiment comme des réfugiés : un village où les enfants refusaient de jouer avec moi, avec nous ! La tristesse fit place à ce sentiment de colère qui me remplissait de force, qui me galvanisait ! Je sentais que « mes forces coléreuses » me quittaient. Ma hargne s’en était allée et me laissa vide çà l’intérieur, comme si mes forces m’abandonnaient. Je n’osai même pas gueuler contre ces gamins qui, à ma vue, fuyaient comme si j’avais la gale ou la peste ! J’étais comme perdu, face à cette attitude dont je ne comprenais pas le sens, car je préférai encore la violence et la barbarie des soldats français ! Nous n’avions même pas de larmes pour pleurer !

Les larmes ne vinrent que le jour où j’entendis ma mère chanter de sa voix douce et mélancolique ce triste pamphlet, cette diatribe que ma mémoire d’enfant avait gardée au plus profond de moi-même :

Viens que je te dise ô mon Dieu, toute cette injustice qui nous est faite !

Est-ce le Français seulement ou bien es-Tu complice du malheur qui nous frappe ?

Je te soupçonne de vouloir nous punir de fautes que d’autres auraient commises bien avant que nous ne soyons de ce monde !

Ô mon Dieu ! S’il faut blasphémer, je blasphème !

Car de tous nos appels, seules les armes et les bombes des Français nous avaient répondu !

J’ai entendu la maison que j’ai construite avec amour et beaucoup de peine, pleurer et t’appeler à l’aide aux moments où ses fondations s’écroulaient !

Aucun Saint exilé, aucun marabout menteur, n’ont été capables d’entendre nos cris de détresse !

Et Toi, tu assistes à tous nos malheurs sans agir contre nos ennemis !

Tu n’entends personne, pas même nos maisons qui s’écroulent, pas même le sang de nos enfants qui coule ; pas même nos montagnes qui ont perdu leur voix sous les bruits d’avions, de mitraillages et des bombardements des Roumis !

 Ô mon Dieu ! Où es-tu donc passé ? Pourquoi es-tu si muet alors que les cris qui sortent de nos cœurs sont bien plus forts que les orages de l’Akfadou, du Djurdjura, des Babors et du Collo ! »

Mais, la guerre n’avait pas dit ses derniers maux… Le cauchemar ne faisait que commencer…


[1] Mais, hélas ! Notre maison, tout comme celles des 20 villages et hameaux sont toujours en ruines ! Si certaines sont de nouveau debout, c’est grâce à leurs propriétaires qui les ont reconstruites tant bien que mal ; car, le charme d’autrefois n’y est plus !  J’ai toujours honte de me rendre au village où je suis né : les ruines et surtout celles de la maison natale me replongent dans ces années de braises, de morts, de peur et de chagrins d’enfants. Je ne rêve plus que d’une chose : tenir cette promesse que j’avais faite à mes parents disparus, sans avoir été consolés des effrois de cette terrible guerre : reconstruire notre belle maison dont les ruines me déchirent la mémoire.

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Réponses

  1. Récit historico-biographique très poignant .

    Merci cher ami de pérenniser tout cela pour ceux qui méconnaissent ces faits , et surtout d honorer la mémoire de vos parents ….et à travers eux celles de nos Aînés qui ont souffert et tant donné pour notre pays.
    J ai beaucoup apprécier les différents renseignements que vous donnez sur ces drames , et aussi ce côté humain qui accompagne ce récit historique à travers votre vécu familial et vos émotions toujours vives des années après….
    Je prends toujours plaisir à vous (re) lire car j apprends encore sous votre plume , et vous remercie de nous nourir avec ces évocations mémorielles précieuses .

    A d autres récits que nous lirons toujours avidement et avec émotion.
    Que Dieu vous bénisse pour ce Trésor que vous partagez avec générosité.

    Une lectrice assidue .
    Zohra .


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