La langue amazighe et la réification du peuple amazigh… Tameslayt d-ameslay…

Cet article constitue la postface de ma première traduction du livre de Khalil GIBRAN « The prophet ».

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A quand l’officialisation de l’amazigh en Algérie ? Celle-ci doit être suivie d’une formation des maîtres sérieuse et de la conception d’ouvrages qui mettent en valeur toutes les sensibilités orales – car la langue est d’abord orale – où la beauté et l’harmonie de la langue amazighe, à travers notamment sa prosodie – poésie ancienne, contes, mythes comptines, énigmes, proverbes, et autres récits qui préservent encore une grande partie de la richesse de la tamazight. Il ne faut pas cacher que l’appauvrissement du parler kabyle est inquiétant à plus d’un titre ! Il est important voire urgent que les enseignants de tamazight arrêtent l’hémorragie lexicale de notre langue maternelle. Ils doivent absolument se tourner vers la littérature orale kabyle, qui est d’une richesse unique pour « donner » une belle langue à leurs élèves. Ces derniers ont davantage besoin d’entendre leur enseignant parler que de le voir le dos tourné en ressassant des règles d’écriture.

C’est l’oral qui constitue la substance vivante d’une langue… Il ne faut que nos enfants revivent la même aphasie que ce qu’ils vivent à cause de l’arabe classique… que les Algériens veulent faire plus arabe que les Arabes !

Sommes-nous des Arabes ? Non ! Les véritables Arabes nous reprochent cet engouement pour une identité qui n’est pas la nôtre ! Que faut-il d’autres à nos gouvernants pour laver ces insultes des orientaux qui nous traitent de tous les noms à force de vouloir vivre dans leur giron ?!

Notre langue est-elle encore menacée ? Que oui ! Tant qu’elle n’accède pas de façon entière et sereine à l’école et dans l’administration. Quel soulagement que de visiter le Maroc aujourd’hui : au fronton des immeubles administratifs et dans la rue, l’écriture tifinagh embellie le pays et rassure le peuple marocain dans son union !

Nous voulons être rassurés de la même façon en Algérie… Et chaque Algérien a besoin de la langue amazighe ; plus encore ceux et celles qui ont perdu son usage et que l’on désigne abusivement par l’adjectif « arabophone ».

En vérité, ce sont des Imazighen comme nous… De cet aphorisme qui nous permet de dire à Kateb Yacine et à d’autres – comme Mouloud MAMMERI – de se reposer tranquillement et de ne pas subir les soubresauts des statistiques de l’Unesco.

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Nous savons tous aujourd’hui que beaucoup de langues autochtones ou premières sont appelées à disparaître[1]. La récente officialisation de tamazight par le royaume du Maroc est une éclaircie dans ce ciel obscur imposé aux Berbères. Notre espoir – notre exigence – est que l’Algérie s’investisse rapidement dans la réappropriation de sa culture d’origine.

Sans sa langue, le peuple amazigh est un chef-d’œuvre en péril, en ce sens que lorsqu’une langue disparaît, son peuple cesse d’exister. Il est plus que temps que l’Algérie recouvre toutes les réalités de son peuple et qu’elle en finisse avec son aliénation culturelle et linguistique.

La réification linguistique et culturelle de l’enfant amazigh ne prendra fin que grâce à la reconnaissance officielle de tamazight, sa langue maternelle. L’arabe classique[2] ne sera jamais solidaire de l’intelligence de l’enfant amazigh. Seule sa langue maternelle, pour peu qu’elle soit encouragée, lui offrira toutes les sécurités, à commencer par la sécurité psychique indispensable à son développement cognitif et social.

Rendue obligatoire sur tout le territoire national, celle-ci devra être accompagnée d’une planification linguistique sérieuse et réfléchie, selon les exigences que requiert l’instauration d’une pédagogie de la langue maternelle, tant du point de vue de l’élaboration des manuels scolaires, de la formation des maîtres que de sa restauration, comme au temps d’avant la colonisation, dans la communication ordinaire et dans tous les usages de la vie quotidienne.

Sans sa langue maternelle à l’école, l’enfant amazigh se sentira toujours infirme. Pour cela, il a d’abord besoin de son parler maternel loin du fantôme d’une langue pure qui relèverait davantage d’une position mythique et négative[3].

Nous sommes heureux de découvrir des travaux lexicographiques sur le « berbère moderne[4] » (tamazight tatrart). Mais, cette attitude volontariste, bien que salutaire, doit absolument prendre en compte la contradiction entre le souhait d’une pureté langagière et l’usage réel des différents parlers amazighs[5].

Il faut veiller à ce que le purisme ne soit pas un simple dogme – une sorte de gongorisme – qui n’aurait aucune attache avec l’usage d’une langue. Les lexiques seuls – bien que qualifiés de « modernes­ » – ne suffisent pas à rendre la réalité sociale du langage et encore moins les difficultés des codes langagiers en cours dans une société. Il suffit pour cela de se pencher sur la seule littérature orale kabyle, qui est d’une richesse qui n’a probablement pas son équivalent dans le monde, pour mieux appréhender toute recherche lexicographique.

Sans replonger dans les contes foisonnants et les mythes – qui nous éclairent sur le côté obscur de la pensée amazighe – prenons un exemple simple et concert, celui du jeu des énigmes berbères pour que lecteur de cette traduction voit où le traducteur veut en venir.

Le jeu des énigmes nous restitue des étapes qui vont du message à construire au choix des mots (lexique) qui fait appelle à la phonologie du vocable avant d’entrer dans le paramètre du choix des formes et des constructions à travers la grammaire qui exprime la phonologie de la phrase – accentuation, allitération et intonation – pour aboutir, enfin, à une phrase construite et mûrement réfléchie à travers laquelle le jouteur expose son énigme.

Le vocabulaire utilisé dans ce jeu comporte un certain nombre de codes et d’expressions dont le sens dépend entièrement sinon étroitement du contexte qui a provoqué l’énigme ou de la source historique ou mythologique à laquelle elle renvoie.

Dans les schémas forts nombreux de la composition de l’énigme, on ne peut manquer de remarquer les stratagèmes ingénieusement mis en place – comme dans les écoles modernes – pour asseoir des constructions linguistiques qui prennent en compte de façon savante une grammaire des sons et des rythmes.

On aura alors compris ce qu’est la notion d’enracinement langagier à travers un discours rhétorique et théorique qui s’appuie sur de nombreux stratagèmes linguistiques qui font de la littérature orale une base inévitable pour tout travail lexicographique sérieux et digne de ce nom.

Toute traduction s’appuie sur des unités signifiantes. « Celles-ci s’ordonnent selon deux axes, l’un de substitution (paradigmatique), l’autre de contiguïté (syntagmatique). Chaque unité peut ainsi varier avec ses voisines et s’enchaîner avec ses parentes.[6] »

Nous constatons alors qu’une traduction n’a de sens que si le traducteur pense à obtenir, autant que faire se peut, le fidèle enracinement qui lie la langue cible à sa société, à ses usagers.

Un peu comme dans le dicton ancien qui dit : « La racine suit la tige » (Azar yettabaâ tara), sous peine de n’être reconnue par personne et de connaître le même anéantissement – que nous avait imposé l’école française pendant la colonisation –, la langue amazighe doit d’abord et avant tout suivre la société et le peuple où elle a pris racine.

Les anciens Kabyles utilisaient un dicton qui synthétise et stigmatise l’aliénation linguistique : « Qui a une langue se sent plus en sécurité ! » (Win isâan iles yetwennes !)

Ma sage maman disait : « La lumière de l’enfant, c’est sa langue maternelle. » (Tafat n weqcic t-tameslayt g_emma-s).

Sans doute qu’elle se rappelait le jour de septembre 1961 où je revins de l’école… les mains ensanglantées pour avoir osé parler en kabyle[7].

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[1] Selon les experts de l’UNESCO, qui ont recensé quelque 7000 langues à travers le monde, une langue première disparaîtrait tous les 30 jours ! Cela me rappelle encore un dicton kabyle des Anciens : « La langue kabyle est comme une frontière » (Taqbaylit am tilist). Une frontière onomastique qui protège l’environnement amazigh de la réification.

[2] On ne peut dire autant de la langue française qui est devenue bien plus qu’une langue étrangère. Du « butin de guerre » de Kateb Yacine, elle est devenue un « refuge de connaissance, d’amour et de soutien » indispensable pour la langue berbère.

[3] Les mots sont comme les plantes. Ils sont ancrés dans une réalité sociale tout comme les arbres sont enracinés dans la terre. La règle première de tout travail lexicographique doit tenir compte de cela.

[4] J’oserai dire « Moderne par rapport à quoi ? » Est-ce à dire que les parlers amazighs sont non modernes, archaïques ? Que toute la production littéraire populaire, qui est d’une richesse extraordinaire, est agreste ? Pourtant, toute la modernité de tamazight est aussi là ! De « l’allégorie » (taweqda), au « moteur » (arennan) en passant par « le psittacisme » (talegda), « la laïcité » (tasnarexsa), « la stigmatisation » (tazekna) et j’en passe ! On n’y trouve que de la modernité !

[5] Tel le mot Atrar qui signifie tout autre chose en kabyle (cf. note 39). Je ne veux pas dire par-là qu’il ne faut pas utiliser des néologismes ou « inventer » d’autres mot ; je veux dire que dans les parlers amazighs comme le kabyle, il y a un fond lexical méconnu et insoupçonné qu’il faut absolument exploiter avec de créer d’autres mots.

[6] R. Barthes, Le degré zéro de l’écriture, éditions du Seuil, 1953, p. 95.

[7] L’arabisation a provoqué un juste retour des choses : la langue française a fini par s’imposer comme une langue attachante, une sorte de seconde langue maternelle des Algériens. Même nos ministres ne peuvent s’exprimer sur les choses sérieuses sans y avoir recours.

La langue et la mémoire – Amazighes – Copie

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Réponses

  1. Azul a Dda Yusef !
    Je voulais juste vous remercier pour tout ce que vous faites pour la langue et la culture amazighes de Kabylie. Je vous prie de ne pas vous décourager car en ce moment les Kabyles ont lâché la bride là où nos ennemis nous menacent de partout. Vous avez lu les articles de la presse algérienne sur l’introduction à l’école primaire de la tamazight !? Cela fait froid dans le dos de lire tous ces arabo-islamistes mettre en avant leurs arguties pour interdire la seule langue du pays et de la terre algérienne : la tamazight !
    Qu’aurait dit Kateb Yacine ?? Nous sommes piégés car les Kabyles ne sont pas unis ! Pire encore, ils se bouffent le nez entre eux ! Le frère ne respecte plus le frère, le père ne respecte plus le fils et vis versa : c’est déjà chanté par Slimane Azem !!
    Je voulais vous que nous sommes un groupe soudé qui pensons à vous et qui lisons vos articles et vos livres qui sont d’une immensité culturelle. Je ne sais pas si les Kabyle peuvent se rendre compte de tout le mal que vous vous donnez pour écrire ! Il faut qu’ils arrêtent de peupler les cafés et qu’ils s’occupent de leurs champs et de l’école pour que leurs enfants aillent vers l’école de tamazight ! J’ai lu votre dernier livre sur les énigmes (quelle richesse que notre culture !) et je ne vous ai pas vu sur BRTV même pas avec votre fidèle ami Hafid ADNANI !! Que se passe-t-il ? Une dernière question : quel est votre prochain livre ou vos prochains livres ??
    Bonne santé et bon courage à Dda Yusef , ne vous découragez pas ! Il y a beaucoup de Kabyles qui croient en vous ! Comment ne pas croire ne vous quand on vous entend dans cette langue kabyle magnifique que seul vous savez manier de cette façon !
    Ar tufat, lehna tafat comme vous dites toujours ! Et c’est plein et c’est plein de sens !

    • Azul ay Akli !

      Je vous remercie pour votre message qui me va droit au coeur ! Ils se font rares les messages ! Les Kabyles, comme vous dites, ont lâché bride ! J’ai essayé de répondre à certains détracteurs dès que l’on parle de l’officialisation de la tamazight. C’est le même discours aliénant et réifiant que l’on entend depuis la colonisation française ! Je vous remercie pour vos encouragements. J’essaie d’écrire, de répondre malgré le temps et quelquefois la santé qui font défaut.
      J’ai effectivement adressé quatre (4) ouvrages à quatre animateurs de BRTV : pas de réponse des quatre. Quant à mon mi Hafi ADNANI, c’est le seul qui n’a pas encore reçu l’ouvrage car j’ai l’habitude de le lui remettre en mains propres.
      Ne vous inquiétez pas, quel que soit le problème que je rencontre, il ne peut m’empêcher d’écrire et de défendre mon peuple et ma langue de façon modeste, il est vrai ; mais de façon la plus sincère qui soit !
      Je vous renouvelle mes remerciements pour tous vos encouragements ! Nous sommes une grande famille amazighe et une famille unie malgré tous les ennemis qui veulent nous disparaître : car, comme vous dites « Il faut beaucoup de savoir et de sagesse pour que les Kabyles s’unissent et se respectent ! » Aujourd’hui, nous manquons de respect ! Mais, vos messages me soulagent de beaucoup d’amertume… Nous vivons, comme tous les peuples autochtones, une époque difficile… Car notre culture s’en va… Et les rivières sont polluées…

      Ar tufat, lehna tafat !

  2. ⴰⵣⵓⵍ
    Azul Da Youcef,
    Je suis membre (VP) de association des Kabyles de la ville de Québec, et nous sommes intéressés par vos travaux. Nous projetons vous inviter à une série de conférences à Québec (ville) cette été (2966 = 2016). Si vous avez du temps, c’est un honneur pour notre association de concrétiser cette invitation.
    Pour plus de détails, vous pouvez m’écrire à mon adresse courriel de l’Université Laval et nous échangerons à ce sujet.

    ⵝⴰⵏⵎⵉⵔⵝ ⴰⵙ ⴰⵎⴻⴳⴰⵣ

    Merci et excellente journée.

    • Azul a Velqasem !

      Je suis très honoré par votre invitation. Malheureusement, je ne pourrais pas venir cet été : je serais en Kabylie où je n’ai pas été l’an dernier.
      Pour 2017, je suis également invité au Chili, mais en hiver, car là-bas, comme vous le savez, ce sera l’été.

      Si votre invitation venait à se renouveler, et si ma santé me permet encore de faire de longs voyages, je serais heureux d’être parmi vous l’été 2017 ou, à tout le moins, 2018.
      Je vous renouvelle mes remerciements pour le grand honneur que vous me faites et auquel je suis très sensible.

      Ar tufat, lehna tafat fell-ak yakw d-Imazighen izedghen di Kanada.

  3. Svp pouvez-vous me contacter par mail j ai besoin d une petite information à titre personnel. Merci d avance

    • Bonjour madame,

      Je vous ai envoyé un courriel. Je suis à votre disposition. Avec tout le respect qui m’habite. Youcef Ouchivane


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